Le Bouard Avocats
Le billet à ordre est un instrument de crédit souple, mais il recèle un piège : l’aval. Constitué par un simple « bon pour aval » ou par une signature isolée, l’aval fait naître au profit du porteur une garantie autonome et solidaire ; l’avaliste devient débiteur cambiaire au même titre que le souscripteur (C. com., art. L 511-21 et L 512-4). Pour le chef d’entreprise qui signe au nom de sa société, la frontière entre engagement social et engagement personnel est ténue : deux paraphes placés l’un sous l’autre peuvent suffire à le rendre personnellement responsable du paiement. Voilà pourquoi l’expression-clé « dirigeant et aval du billet à ordre » mérite toute votre vigilance.
Le gérant d’une SARL avait souscrit, pour sa société, un billet à ordre bénéficiant à la banque créancière. Au recto : sa signature apparaissait une première fois dans la case « Souscripteur », puis de nouveau dans la case « Aval » sous la mention pré-imprimée « Bon pour aval ». Au verso, il ajoutait un troisième paraphe précédé cette fois de la mention manuscrite « Bon pour aval… Le co-gérant ».
Les juges du fond voient dans la signature du recto une garantie personnelle. Conséquence : le gérant est condamné en qualité d’avaliste, nonobstant la précision manuscrite apposée au verso.
Par arrêt du 26 mars 2025 (pourvoi n° 23-17 853), la chambre commerciale casse cette analyse. Motif : lorsqu’une même personne signe une première fois comme souscripteur, sa seconde signature placée dans l’emplacement « Aval » n’emporte pas, à elle seule, engagement personnel. En effet, l’article L 512-4 du Code de commerce exige que l’aval ne se déduise de la seule signature que si elle n’est pas justement celle… du souscripteur. Ce point technique rappelle que l’on ne peut revêtir simultanément, pour le même effet, la double qualité de souscripteur et d’avaliste ; une seule et même signature ne saurait produire un double effet.
Le dirigeant et aval du billet à ordre doivent rester deux fonctions distinctes : l’une exercée au nom de la société, l’autre, le cas échéant, à titre personnel. À défaut, la garantie est inopposable et la banque perd son recours contre le dirigeant.
L’absence de toute référence à votre mandat social ouvre la voie à l’engagement personnel (Cass. com., 15 févr. 2023). À l’inverse, la mention « Pour la société Y, le gérant » neutralise votre responsabilité cambiaire.
Le Code de commerce permet de restreindre la garantie à une somme déterminée ou à un nombre d’échéances. Inscrivez-le noir sur blanc : « Aval donné pour un montant limité à… ».
L’avaliste est tenu solidairement : la banque peut agir contre lui sans mise en demeure du débiteur principal et sans discussion préalable (C. com., art. L 511-44). Son patrimoine personnel sert alors de gage.
En cas de défaillance, la dette entre dans la communauté ou le régime matrimonial, sauf clause de séparation. Le risque dépasse donc le seul cercle professionnel ; il impacte la sphère privée.
Pour contester, il faut prouver une altération de signature ou une falsification. À défaut, l’exception tirée des rapports personnels avec la banque est irrecevable : l’obligation cambiaire est abstraite.
Limiter contractuellement la capacité d’aval réduit l’exposition si plusieurs dirigeants interviennent. Pensez à inscrire cette limitation au greffe afin d’opposer votre organisation interne aux tiers informés.
Ces sûretés protègent la banque sans exiger votre engagement cambiaire personnel.
Si le litige éclate, un huissier peut dresser procès-verbal du billet original pour établir la coexistence de signatures contradictoires. Appuyez-vous sur la jurisprudence du 26 mars 2025 ; elle constitue un précédent direct.
Pour le chef d’entreprise, le billet à ordre reste un mode de financement rapide. Pourtant, l’association dirigeant et aval du billet à ordre exige une discipline de signature. Séparer clairement vos fonctions, rappeler votre qualité et, lorsque l’aval est inévitable, délimiter son étendue : telles sont les clés pour protéger votre patrimoine. La décision du 26 mars 2025 offre un répit aux dirigeants, mais elle ne doit pas masquer l’essentiel : la prévention vaut toujours mieux que la défense.