January 27, 2025

Le Bouard Avocats

Clause d’earn out : l’incertitude du complément de prix comme condition essentielle

Ce qu'il faut retenir :
  • L’incertitude du prix est essentielle : pour être considérée comme une clause d’earn out, la somme finale doit dépendre de résultats futurs non connus à la date de la cession.
  • La charge fiscale est différée : le complément de prix est en principe imposé lors de son versement effectif, à condition que l’aléa soit réel.
  • La rédaction du contrat est décisive : le cédant et l’acquéreur doivent définir précisément les indicateurs de performance, afin de justifier l’indexation et la légitimité du mécanisme earn out.
  • L’insertion d’une clause d’earn out dans un contrat de cession de titres soulève de nombreuses questions juridiques et fiscales. Sur le plan pratique, ce mécanisme permet au cédant de bénéficier d’un complément de prix si l’entreprise cédée connaît des performances financières supérieures à celles anticipées initialement. La question cruciale demeure toutefois la suivante : ce complément de prix doit-il être imposé au moment de la cession ou au moment de son versement effectif ? La jurisprudence récente, illustrée par un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Douai le 21 novembre 2024, apporte un éclairage précieux sur la notion d’incertitude quant au montant du complément de prix.

    Le cadre légal du complément de prix

    Le régime juridique et fiscal applicable au complément de prix s’appuie principalement sur l’article 150-0 A, I-2 du code général des impôts. Selon cet article, le cédant peut, sous certaines conditions, différer l’imposition de ce complément au moment de son encaissement. Encore faut-il que cette somme additionnelle réponde à plusieurs critères. D’abord, la somme doit résulter d’une indexation liée à l’activité de la société cédée. Ensuite, le législateur impose une réelle incertitude sur le montant final, de sorte qu’il ne soit pas prévisible à la date de la cession.

    Les travaux parlementaires, qui éclairent souvent le texte de loi, insistent sur un point essentiel : la volonté de permettre au cédant de n’acquitter l’impôt sur la plus-value qu’au moment où les gains se concrétisent, à la condition que ces gains ne puissent être déterminés de manière certaine à la signature de la cession. Ainsi, le prix complémentaire doit dépendre de facteurs futurs, tels que l’évolution du chiffre d’affaires, le résultat net ou tout autre indicateur de performance.

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    la clause earn out

    L’incertitude : condition sine qua non de l’earn out

    Pour que la clause d’earn out puisse bénéficier d’un traitement fiscal différé, la jurisprudence exige que le prix définitif ne soit pas déjà établi à la date de la cession. En d’autres termes, il faut qu’un aléa réel plane sur la somme future. Si le complément de prix n’est qu’une réévaluation mécanique et quasi certaine, alors le fisc estime que l’opération ne relève pas de la clause d’earn out, mais plutôt d’un ajustement technique.

    1. Incertitude sur l’activité future
      Le complément de prix est souvent défini par des indicateurs financiers (résultats, bénéfice, marge). Lorsque la société cédée réalise une performance supérieure ou égale à un seuil préétabli, la clause d’earn out se déclenche. Or, pour que cet aléa soit reconnu, ces éléments doivent porter sur des résultats postérieurs à la cession, non prévisibles de façon absolue.
    2. Indépendance par rapport à la date de cession
      Si le prix supplémentaire est déterminé principalement à partir de données déjà acquises ou d’un exercice déjà clos, l’administration fiscale considère qu’il s’agit d’un prix fixé dès la cession, à imposer immédiatement. La clause d’earn out perd alors sa substance, puisqu’elle ne relève pas d’une incertitude quant à l’avenir de la société.
    3. Exemple jurisprudentiel
      Par l’arrêt du 21 novembre 2024, la cour administrative d’appel de Douai a confirmé cette approche. Les juges ont estimé que le complément de prix devait être imposé à la date de la cession lorsque, dans les faits, le montant était pratiquement déterminé et calculable à l’instant de la signature, même si un ajustement comptable était réalisé quelques jours plus tard. Autrement dit, l’essence même de l’earn out, à savoir le risque lié à l’avenir, faisait défaut.

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    Les effets pratiques pour les acteurs de la cession

    1. Sécurisation du montage contractuel

    Pour tirer parti du régime de la clause d’earn out, il est essentiel que l’acte de cession mette en évidence la réelle incertitude pesant sur le montant du complément. Les rédacteurs (avocats spécialisés en cession d'entreprise, juristes, experts-comptables) doivent veiller à ce que le contrat lie clairement l’éventuelle somme supplémentaire à des indicateurs ultérieurs, dont la réalisation ne peut être anticipée avec certitude.

    • Veiller à insérer une clause d’indexation fondée sur des indicateurs prospectifs.
    • Éviter de baser le complément de prix sur un exercice comptable déjà clôturé ou sur des stocks connus.
    • S’assurer que le calcul ne puisse être figé dès la signature de l’acte.
    2. Conséquences fiscales

    En cas de véritable incertitude, le cédant ne sera imposé sur le supplément de prix qu’à l’année de son encaissement, facilitant ainsi la gestion de la trésorerie et la lisibilité de son imposition sur la plus-value. Cette souplesse peut constituer un avantage majeur pour le vendeur, dans la mesure où il bénéficie d’une meilleure correspondance entre ses rentrées financières et ses obligations fiscales.

    Toutefois, si l’administration fiscale requalifie la somme en complément de prix certain, la rectification peut s’avérer coûteuse : imposition dès l’année de la cession, rehaussement des bases d’imposition, majorations et intérêts de retard. Cette situation rappelle l’impérieuse nécessité d’une rédaction minutieuse et prudente des clauses contractuelles.

    3. Rôle de la doctrine administrative

    La doctrine administrative, qui figure notamment dans les commentaires officiels, confirme que le complément de prix doit présenter un caractère aléatoire à la date de réalisation de la cession pour entrer dans le champ d’application de l’article 150-0 A, I-2 du code général des impôts. Si tel n’est pas le cas, l’impôt est dû immédiatement. Cette concordance entre jurisprudence et doctrine administrative marque la cohérence de la position des pouvoirs publics sur l’earn out.

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    Conclusion : Anticiper pour sécuriser la transaction

    Au regard du cadre législatif et des interprétations jurisprudentielles, la clause d’earn out apparaît comme un outil précieux pour les cédants souhaitant bénéficier d’un prix ajusté à la performance future de l’entreprise. Toutefois, pour que ce mécanisme soit fiscalement neutre jusqu’à l’encaissement effectif, il est impératif que l’incertitude qui entoure le montant final soit bien réelle au jour de la cession. L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Douai illustre parfaitement l’importance de cette condition.

    Les praticiens du droit et les parties à la transaction doivent donc veiller à ce que l’élaboration de la clause reflète fidèlement l’aléa inhérent à l’activité de la société. Toute approximation ou toute apparence de certitude pourrait fragiliser la position du cédant, exposant ce dernier à un redressement fiscal potentiellement onéreux. Dans ce contexte, un accompagnement juridique solide se révèle indispensable pour parvenir à un contrat équilibré, apte à répondre aux attentes économiques des vendeurs et des acquéreurs, tout en assurant le respect des exigences imposées par l’article 150-0 A du code général des impôts.