Le Bouard Avocats
Le législateur n’a pas laissé la place au doute : « La société à responsabilité limitée est commerciale par la forme, quel que soit son objet » (art. L 210-1 C. com.). La portée de cette affirmation dépasse la simple qualification ; elle irrigue tout le contentieux interne de la SARL. En vertu de l’article L 721-3 2°, le tribunal de commerce détient une compétence matérielle exclusive pour connaître des « contestations relatives aux sociétés commerciales ». Peu importe, dès lors, que la société facture des actes vétérinaires, assure des missions d’architecte ou gère un cabinet d’expertise comptable : la forme prévaut sur l’objet. Cette prééminence structure la sécurité juridique, car le monde des affaires exige une boussole simple ; elle évite les hésitations qui retardent la résolution des litiges entre associés ou dirigeants.
La jurisprudence et la loi n’ont admis que deux failles à ce monopole consulaire :
En dehors de ces hypothèses strictes, la tentative de contourner le juge commercial est vouée à l’échec ; la Cour de cassation le rappelle avec constance depuis près de vingt ans.
Le 28 mai 2025, la chambre commerciale (pourvoi n° 24-14.148) casse sans renvoi l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier qui avait reconnu la compétence du tribunal judiciaire pour juger la révocation d’une gérante vétérinaire. Motif : SARL + gérante + litige interne = tribunal de commerce, indépendamment de la nature civile de l’acte vétérinaire et du statut non commerçant de la demanderesse. La haute juridiction clôt une ligne de défense souvent invoquée : l’activité libérale, fût-elle réglementée, ne transforme pas la SARL de droit commun en SEL. À travers cette décision, les juges réaffirment qu’une société n’est pas « libérale » par la seule vertu de son objet. Seule la forme sociale emporte conséquence juridictionnelle.
Ignorer cette cartographie judiciaire expose à plusieurs risques concrets :
Pour le dirigeant, la vigilance n’est donc pas une option : c’est un impératif de bonne gouvernance.
Étape 1 – Identifier la forme
SARL ou SAS classique ? La route mène au tribunal de commerce. SEL ? Cap sur le tribunal judiciaire.
Étape 2 – Qualifier le demandeur
Associé, gérant, contrôleur légal ? Le monopole consulaire s’applique. Tiers non commerçant extérieur ? Option ouverte.
Étape 3 – Cerner l’objet du litige
Révocation, nullité d’assemblée, engagement de la responsabilité du dirigeant ? Direction le juge commercial. Actions délictuelles pures ? Analyse complémentaire selon les parties en présence.
Cette grille d’analyse, appliquée dès la réception d’une mise en demeure, évite la fausse route contentieuse.
Vouloir échapper au juge consulaire n’a rien d’illégitime. La voie existe : opter pour la SEL lors de la création ou transformer la société par voie de fusion ou de changement de forme. À défaut, la commercialité « par la forme » s’impose. Dans tous les cas, il est conseillé :
Le gérant démis de ses fonctions conserve la faculté de solliciter :
Toutefois, l’action doit être portée devant le tribunal de commerce, dans le délai de cinq ans prévu pour les obligations commerciales (L 110-4). Le chemin judiciaire n’est pas différent, mais le maître du jeu change : procédure plus rapide, formation collégiale de juges praticiens du monde des affaires, culture de la conciliation.
À l’heure où la responsabilité des dirigeants est scrutée, où la gouvernance d’entreprise devient un critère de valorisation, maîtriser la compétence juridictionnelle constitue un pilier de la sécurité juridique. L’arrêt du 28 mai 2025 rappelle aux professions libérales exerçant en SARL qu’elles restent arrimées au port commercial tant qu’elles n’ont pas hissé la voile de la SEL.
Une cartographie judiciaire claire se bâtit en amont : choix de la forme sociale, rédaction statutaire, procédures internes codifiées. Elle se consolide en aval : choix de la bonne juridiction, respect des délais, preuves solides. Cette rigueur offre aux chefs d’entreprise un climat contentieux plus prévisible, gage d’efficacité et de loyauté dans les relations entre associés.
Le débat sur le juge compétent, longtemps parasité par la confusion entre activité civile et forme commerciale, trouve avec l’arrêt Vet’amazones une clarification décisive. Pour la SARL libérale de droit commun, le tribunal de commerce reste la « juridiction naturelle ». Le dirigeant avisé, en intégrant cette donnée dès la rédaction des statuts puis dans chaque décision sociale, protège l’entreprise du risque procédural et assoit la légitimité de ses actes. À l’inverse, celui qui souhaite la juridiction judiciaire devra choisir ou transformer sa structure en SEL, faute de quoi il naviguera hors du chenal et s’exposera aux écueils de l’incompétence matérielle. Ainsi, le choix du tribunal n’est pas une simple question de forme : c’est un outil stratégique au service d’une gouvernance éclairée.