Le Bouard Avocats
La Cour de cassation, dans son arrêt du 2 avril 2025, apporte une réponse claire à une problématique régulièrement rencontrée en matière de contentieux fiscal : un débiteur solidaire peut-il invoquer l’irrégularité d’une procédure lorsqu’il a lui-même reçu l’acte ? La réponse est affirmative. Voici l’essentiel à retenir :
Ce principe renforce les droits procéduraux des contribuables dans un contexte où la solidarité ne doit jamais justifier une dégradation du débat contradictoire. Un point de vigilance crucial pour tout praticien du droit fiscal.
La solidarité fiscale permet à l’administration de s’adresser à l’un quelconque des redevables pour le recouvrement de l’intégralité de la dette. Ce mécanisme est bien connu des praticiens du droit fiscal. En revanche, les exigences procédurales qui en découlent sont parfois ignorées, y compris par les juridictions du fond. L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 2 avril 2025 vient rappeler, avec clarté, les limites de cette faculté d’action de l’administration.
Désormais, il ne fait plus de doute que le défaut de notification d’un acte à l’ensemble des débiteurs solidaires constitue une irrégularité procédurale. Surtout, cette irrégularité peut être soulevée par tout redevable, y compris celui ayant été personnellement destinataire de l’acte.
L’article 1705 du code général des impôts pose le principe selon lequel tous ceux qui ont comparu dans un acte générateur d’une obligation fiscale sont tenus solidairement au paiement des droits. Cela signifie que chacun des codébiteurs peut être poursuivi pour l’intégralité de la dette fiscale, sans nécessité pour l’administration d’engager de procédure simultanée à l’encontre des autres.
Cependant, cette facilité reconnue à l’administration n’exonère nullement cette dernière du respect des principes fondamentaux du contradictoire et de la loyauté des débats. La solidarité passive ne saurait conduire à une procédure unilatérale ou asymétrique.
La jurisprudence admet que la proposition de rectification puisse être notifiée à un seul des redevables solidaires. Toutefois, les actes subséquents à cette proposition – tels que la réponse aux observations du contribuable, la mise en recouvrement ou encore le rejet de la réclamation – doivent impérativement être notifiés à tous les codébiteurs.
En effet, ces actes ont vocation à engager chacun d’eux dans la procédure fiscale. Ne pas les leur notifier revient à les priver de leurs droits fondamentaux, en particulier celui d’organiser leur défense. C’est ce que vient de confirmer la Cour de cassation dans sa décision du 2 avril 2025.
Dans cette affaire, l’administration avait initialement adressé la proposition de rectification au donateur, décédé avant la clôture de la procédure. La réponse à ses observations, confirmant les redressements, avait été transmise à l’une des donataires, codébitrice solidaire de l’impôt. Cette dernière a contesté la procédure au motif que les autres redevables solidaires n’avaient pas été informés des suites de la procédure.
La cour d’appel de Paris a rejeté ce moyen, considérant que la destinataire de l’acte ne pouvait invoquer un défaut de notification concernant d’autres redevables. Selon elle, nul ne pouvant plaider par procureur, seule la personne non destinataire pouvait se prévaloir de l’omission.
La Cour de cassation a cassé cet arrêt. Elle a affirmé que l’irrégularité tirée du défaut de notification à tous les débiteurs solidaires peut être soulevée par l’un quelconque d’entre eux, même si celui-ci a effectivement reçu l’acte concerné.
Ce que confirme la Haute juridiction, c’est que l’irrégularité affecte la procédure dans son ensemble. Elle n’est pas limitée au préjudice d’un seul redevable. Il s’agit d’une atteinte à un principe procédural général, que tout codébiteur est légitime à soulever, indépendamment de sa situation individuelle.
Cette reconnaissance ouvre plusieurs voies de recours, et permet :
La portée de cette jurisprudence est large. Elle concerne :
Dans chacun de ces cas, l’administration doit adresser une copie à chacun des redevables solidaires, sans quoi la procédure est entachée d’une irrégularité substantielle.
Pour les avocats fiscalistes et les professionnels du recouvrement, cet arrêt impose un nouveau réflexe de vérification systématique. Lorsqu’une procédure fiscale implique plusieurs débiteurs solidaires, il convient de s’assurer que :
En cas de manquement, l’ensemble de la procédure peut être remise en cause, avec des conséquences potentiellement radicales pour le recouvrement de la dette.
En consacrant ce droit d’invocation, la Cour de cassation s’inscrit dans la continuité de décisions antérieures ayant déjà rappelé que les garanties procédurales sont opposables à tous, dès lors qu’elles touchent aux conditions mêmes de régularité du débat fiscal.
Elle rejoint également les exigences européennes en matière de droit à un procès équitable, dès lors que la procédure fiscale a des conséquences sur les droits patrimoniaux du contribuable.
L’arrêt du 2 avril 2025 constitue un rappel ferme des obligations de l’administration en matière de notification des actes fiscaux. Il renforce les garanties procédurales des redevables solidaires, en leur permettant de contester une procédure mal engagée, même s’ils en ont eux-mêmes été régulièrement informés.
Cette solution ne relève pas d’un formalisme excessif. Elle s’inscrit au contraire dans une conception exigeante mais juste du contradictoire. Les praticiens du contentieux fiscal auront tout intérêt à s’en emparer, tant pour défendre leurs clients que pour anticiper les risques d’irrégularité.