May 15, 2025

Le Bouard Avocats

Cession de parts sociales en SARL : le délai de trois mois pour statuer sur l’agrément ne peut être prolongé

L’agrément des associés est une formalité centrale dans les cessions de parts sociales au sein des sociétés à responsabilité limitée (SARL). Régie par l’article L. 223-14 du Code de commerce, cette procédure encadre de manière stricte le transfert de titres à un tiers étranger à la société. Un récent arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 2 avr. 2025, n° 23-23.553) vient utilement rappeler que le délai de trois mois pour statuer sur l’agrément ne saurait être prolongé, même en cas de consultation écrite des associés.

Un formalisme strict imposé par le Code de commerce

En matière de cession de parts à un tiers, l’article L. 223-14 du Code de commerce énonce une règle claire : les associés disposent d’un délai de trois mois à compter de la dernière notification du projet de cession pour se prononcer sur l’agrément du cessionnaire. À défaut de décision expresse dans ce délai, le consentement est réputé acquis.

Ce délai de trois mois, dont la finalité est de garantir la stabilité du capital social tout en préservant la liberté de cession, est un délai impératif. La jurisprudence considère qu’il est d’ordre public. Il ne peut donc ni être suspendu, ni prorogé, y compris en cas de circonstances exceptionnelles ou de procédures internes allongeant les délais de décision.

L’arrêt du 2 avril 2025 : un rappel de la rigueur procédurale

Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, une associée de SARL notifie un projet de cession de ses parts à un tiers. Face à l’inaction de la société, elle saisit le juge pour provoquer la tenue d’une assemblée générale. Le gérant opte alors pour une consultation écrite des associés, conformément à l’article R. 223-22 du Code de commerce, qui impose un délai minimal de quinze jours aux associés pour se prononcer.

La difficulté surgit lorsque ce délai de 15 jours repousse la date de consultation au-delà du terme du délai légal de trois mois pour statuer sur l’agrément. La société oppose que ce délai réglementaire (issu de l’article R. 223-22) justifie cette prolongation. L’argument est écarté par les juges du fond et confirmé par la Cour de cassation.

La Haute juridiction rappelle avec fermeté que le délai de trois mois prévu par l’article L. 223-14 est intangible, même si le gérant choisit une modalité de consultation qui impose un autre délai (en l’espèce, le délai minimal de réponse prévu pour une consultation écrite).

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Une articulation stricte entre délais légaux et délais réglementaires

Cette décision éclaire les praticiens sur un point de procédure souvent mal anticipé : les délais fixés par voie réglementaire (comme le délai de réponse de 15 jours à une consultation écrite) n’ont pas vocation à suspendre ou proroger un délai légal d’ordre public.

Autrement dit, c’est au gérant qu’il revient d’organiser la consultation dans le respect de l’ensemble des délais applicables. Il doit, par exemple :

  • initier la consultation suffisamment tôt pour laisser aux associés le temps de réponse réglementaire de 15 jours,
  • s’assurer que cette période de réponse se termine avant l’expiration du délai de trois mois prévu à l’article L. 223-14,
  • et, à défaut, convoquer une assemblée générale dans les délais légaux avec le préavis requis (article R. 223-20).

Ce raisonnement est transposable à toute autre forme de procédure de consultation, y compris par voie d’assemblée générale. Le respect du préavis de convocation (15 jours selon l’article R. 223-20) n’autorise pas non plus à prolonger le délai d’agrément.

Les conséquences de l’inobservation du délai de trois mois

Lorsque les associés ne se prononcent pas expressément dans les trois mois suivant la dernière notification du projet de cession, le consentement est légalement réputé acquis.

Cela signifie que :

  • la cession peut être régularisée,
  • le cessionnaire acquiert la qualité d’associé,
  • la société ne peut plus s’y opposer, même si un refus est formellement exprimé au-delà du délai.

Ce principe, rappelé avec force par la Cour dans cet arrêt, vise à éviter les blocages et à sécuriser les opérations de cession. Il incite à une rigueur procédurale accrue de la part des dirigeants de SARL, notamment en matière de gestion des calendriers de décision.

Que retenir pour la pratique des sociétés commerciales ?

Pour les avocats en droit des sociétés à Versailles, dirigeants de SARL et conseils d’entreprise, plusieurs points de vigilance s’imposent :

  • Anticiper les consultations écrites : si ce mode est choisi, le calendrier doit permettre le respect simultané du délai légal de 3 mois et du délai de 15 jours pour répondre.
  • Préférer une assemblée générale en cas de doute : en période de congés ou de contentieux, la convocation d’une AG formelle permet parfois de gagner du temps.
  • Archiver les dates de notifications : le point de départ du délai de 3 mois est la dernière date de notification du projet à la société et à tous les associés (réception effective, et non simple envoi).
  • Éviter les renvois successifs : toute nouvelle tentative de consultation n’interrompt pas le délai initial.

Enfin, toute incertitude sur la computation des délais doit conduire à privilégier une approche conservatoire, dans l’intérêt de la sécurité juridique des parties et de la stabilité du capital social.

Une décision conforme à la logique du droit des sociétés

Par son arrêt du 2 avril 2025, la Cour de cassation vient confirmer une lecture stricte, mais cohérente, de l’article L. 223-14 du Code de commerce. Cette décision rappelle que le respect des délais légaux est une exigence de fond, à laquelle aucune contrainte d’organisation interne ou de calendrier procédural ne peut déroger.

Ce formalisme peut apparaître rigide, mais il est le corollaire nécessaire de la protection du consentement des associés en matière de cession de titres sociaux. La vigilance procédurale demeure donc une condition essentielle à la validité des opérations de cession au sein des SARL.