April 28, 2025

Le Bouard Avocats

Dépenses de développement et immobilisation : cadre juridique et enjeux fiscaux

Ce qu’il faut retenir sur les dépenses de développement et leur immobilisation

  • Critères stricts d’immobilisation : seules les dépenses liées à des projets nettement individualisés et présentant de sérieuses chances de rentabilité commerciale peuvent être inscrites à l’actif [[C. com., art. R. 123-186]].
  • Permanence des méthodes comptables : une entreprise ne peut modifier librement son traitement comptable d'un exercice à l'autre sans motif exceptionnel [[C. com., art. L. 123-17]].
  • Phase de recherche exclue : les dépenses engagées lors d'une phase amont, sans perspective immédiate de commercialisation, doivent être comptabilisées en charges.
  • Importance de la documentation : une justification rigoureuse projet par projet est indispensable pour sécuriser le traitement comptable et éviter tout risque de redressement fiscal.

Comprendre les conditions d’immobilisation des dépenses de développement

Le traitement comptable et fiscal des dépenses de développement occupe une place essentielle dans la gestion des entreprises innovantes.
Ces dépenses peuvent être comptabilisées soit en charges immédiates, soit inscrites à l'actif du bilan en tant qu'immobilisations incorporelles, sous réserve de remplir des conditions strictes posées par la réglementation.

Conformément aux articles R. 123-186 et L. 123-17 du Code de commerce, les frais de développement ne peuvent être portés à l’actif que s'ils concernent des projets nettement individualisés et présentent de sérieuses chances de rentabilité commerciale. Cette exigence participe du principe de sincérité des comptes[[C. com., art. L. 123-14]].

Le non-respect de ces critères expose l’entreprise à des redressements fiscaux et à la remise en cause d'avantages associés, notamment en matière de crédit d'impôt recherche.

Les critères d’immobilisation des dépenses de développement

Les conditions cumulatives prévues par le Code de commerce

Selon l'article R. 123-186 du Code de commerce, les frais de développement peuvent être immobilisés uniquement si :

  • Ils se rapportent à un projet nettement individualisé dans son objet et son financement ;
  • Ils offrent de sérieuses chances de rentabilité commerciale à l'issue de la phase de développement.

L'entreprise doit donc être en mesure de démontrer la viabilité économique du projet dès la clôture de l'exercice au cours duquel les dépenses sont engagées.

À défaut, ces dépenses doivent être comptabilisées en charges de l'exercice[[C. com., art. L. 123-12, al. 2]].

L'impact du principe de permanence des méthodes comptables

Le principe de permanence des méthodes, énoncé à l'article L. 123-17 du Code de commerce, interdit de modifier les traitements comptables d'un exercice à l'autre sans raison exceptionnelle.

Ainsi, l'option pour l'immobilisation ou la comptabilisation en charges des frais de développement est irréversible, sauf changement de situation ou modification des normes comptables.

L’administration fiscale se montre particulièrement attentive à la stabilité des méthodes déclarées[[CGI, art. 236 I]].

L’affaire EURL CAP 2020 : une illustration jurisprudentielle récente

Faits et contexte du litige

La décision de la cour administrative d'appel de Versailles du 19 décembre 2024[[CAA Versailles, 19 déc. 2024, n° 23VE01763]] éclaire le sort des dépenses de développement engagées pour des projets en phase de recherche.

Dans cette affaire, une société ayant participé à un projet de consortium, dans le cadre d'un appel d’offres du Centre national d'études spatiales (CNES), avait comptabilisé certaines dépenses en charges et d’autres en immobilisations.

L'administration fiscale avait remis en cause cette option, considérant que l’ensemble des dépenses devait être immobilisé.

Solution retenue par la cour

La cour juge que :

  • Les dépenses liées aux travaux réalisés par les partenaires du consortium ne répondaient pas aux critères d’immobilisation, la société ne disposant ni de la maîtrise des résultats ni de perspectives certaines d’avantages économiques futurs ;
  • Ces dépenses pouvaient donc être comptabilisées valablement en charges ;
  • En revanche, les dépenses propres engagées pour le développement de logiciels réutilisables dans d’autres projets remplissaient, elles, les conditions pour être immobilisées.

Cette solution confirme la nécessité d'une analyse fine projet par projet, et non d'une approche globale.

Conseils pratiques pour sécuriser le traitement des dépenses de développement

Pour les entreprises innovantes

Afin de limiter les risques de redressement fiscal et de contestation en cas de contrôle, il est fortement conseillé de :

  • Documenter chaque projet : étude de faisabilité, plan de développement, prévisions financières ;
  • Démontrer l’individualisation : traçabilité précise des dépenses affectées à chaque projet ;
  • Évaluer objectivement la rentabilité attendue : éléments de marché, contrats en cours, projections sérieuses.

Cette approche méthodique permet d’anticiper les demandes de justification de l’administration.

Pour les praticiens du droit des affaires

Les avocats et conseils doivent sensibiliser leurs clients aux risques liés à une mauvaise qualification comptable des dépenses de développement :

  • L'inscription à l’actif doit être justifiée par des critères objectifs et contemporains ;
  • En cas de doute sur la faisabilité ou la rentabilité commerciale, la prudence impose la comptabilisation immédiate en charges ;
  • Toute politique comptable adoptée doit faire l'objet d'une note méthodologique validée par la direction générale et le commissaire aux comptes.

La gestion comptable et fiscale des dépenses de développement et immobilisation requiert une attention rigoureuse.
La jurisprudence récente[[CAA Versailles, 19 déc. 2024, n° 23VE01763]] rappelle que seules les dépenses associées à des projets nettement individualisés et viables peuvent être activées.

En cas d’incertitude, la prudence doit prévaloir au bénéfice d’une comptabilisation en charges, sécurisant ainsi l’entreprise contre toute remise en cause ultérieure.
La documentation précise des projets et la constance dans l’application des méthodes comptables restent les meilleurs remparts contre le risque fiscal.