September 19, 2025

Le Bouard Avocats

Recours pour excès de pouvoir : conditions de recevabilité d’un rescrit

Les conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir

Avant d’entrer dans le détail juridique, voici l’essentiel à retenir sur le recours pour excès de pouvoir contre un rescrit fiscal défavorable :

  • Le rescrit fiscal est une prise de position formelle de l’administration sur une situation de fait au regard d’un texte fiscal (article L. 80 B LPF).
  • En principe, il ne peut pas être contesté par recours pour excès de pouvoir, sauf en cas d’effets notables autres que fiscaux.
  • Ces effets peuvent concerner des contraintes économiques, contractuelles ou organisationnelles dépassant la seule dimension fiscale.
  • Les décisions défavorables issues d’une demande préalable relevant de l’article L. 80 B, 2° du LPF sont présumées produire de tels effets.
  • Si la demande est postérieure à l’opération, le contribuable doit démontrer lui-même les effets extra-fiscaux pour que son recours soit recevable.

Le rescrit fiscal est un outil essentiel de sécurisation juridique pour les contribuables. Il permet d’obtenir de l’administration une prise de position formelle sur l’application d’un texte fiscal à une situation de fait donnée. Mais que se passe-t-il lorsque cette décision est défavorable, ou encore lorsque l’administration revient sur une première position favorable ? La question de la recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir se pose alors avec acuité.

La récente décision du Conseil d’État du 2 juin 2025 (n° 493848) est venue préciser ce régime, apportant des éclairages importants pour les entreprises et les particuliers.

Le cadre juridique du rescrit fiscal

Le rescrit fiscal est encadré par le Livre des procédures fiscales (LPF).

  • L’article L. 80 A garantit au contribuable de bonne foi qu’aucun redressement ne pourra intervenir si son interprétation d’un texte fiscal, approuvée par l’administration, est ultérieurement remise en cause.
  • L’article L. 80 B précise les modalités de demande de rescrit. L’administration est tenue de répondre dans un délai de trois mois à toute demande écrite, précise et complète. Si la réponse est favorable, elle lie l’administration.

Ce mécanisme offre une garantie de sécurité juridique, mais il n’est pas infaillible. Il arrive que l’administration :

  • refuse la demande de rescrit,
  • ou revienne sur une position antérieure favorable.

Dans ces hypothèses, le contribuable peut souhaiter contester la décision. La voie du recours pour excès de pouvoir (REP) apparaît alors, en théorie, comme une solution.

Le principe : une recevabilité limitée du recours pour excès de pouvoir

En principe, les décisions de rescrit ne peuvent pas être attaquées par la voie du REP. En effet, elles relèvent du contentieux fiscal et peuvent être contestées dans le cadre d’un recours de plein contentieux devant le juge de l’impôt.

Cependant, le Conseil d’État admet une exception lorsque la décision contestée entraîne des effets notables autres que fiscaux. L’idée est simple : si le contribuable, en se conformant à la décision de l’administration, subit des conséquences économiques ou juridiques qui dépassent le champ fiscal, le REP devient recevable.

Ces effets peuvent être caractérisés, par exemple, par :

  • des contraintes économiques lourdes (renoncement à un projet, abandon d’un investissement),
  • une atteinte significative à la compétitivité de l’entreprise,
  • des sujétions disproportionnées par rapport à l’objet du texte fiscal.

Les rescrits relevant de l’article L. 80 B, 2° du LPF : une présomption d’effets notables

L’article L. 80 B, 2° du LPF offre un cadre particulier. Il prévoit que le contribuable peut notifier son intention de bénéficier d’un régime fiscal spécifique avant de réaliser une opération. Si l’administration répond défavorablement, cette décision est présumée produire des effets notables autres que fiscaux, justifiant la recevabilité du REP.

Toutefois, cette présomption ne s’applique que si la demande est présentée préalablement à l’opération.

  • Si la demande est antérieure, le contribuable bénéficie d’une garantie renforcée.
  • Si elle est postérieure, la présomption tombe, et il appartient alors au requérant de démontrer concrètement les effets extra-fiscaux de la décision.

L’apport de la décision du Conseil d’État du 2 juin 2025

Dans l’affaire jugée en 2025, un médecin avait sollicité un rescrit relatif à l’exonération prévue pour les entreprises implantées en zone franche urbaine-territoire entrepreneurs (article 44 octies A du CGI). Après avoir initialement répondu favorablement, l’administration était revenue sur sa position et avait rejeté la demande.

Le contribuable a tenté d’obtenir l’annulation de cette décision par un recours pour excès de pouvoir. Or, le Conseil d’État a rejeté le pourvoi, confirmant l’irrecevabilité du recours :

  • la demande de rescrit avait été déposée après le transfert d’activité, donc postérieure à l’opération ;
  • dans ces conditions, la présomption d’effets notables de l’article L. 80 B, 2° ne pouvait pas jouer ;
  • il appartenait au contribuable de démontrer concrètement les effets extra-fiscaux de la décision, ce qu’il n’a pas fait.

Cette décision confirme donc que le caractère préalable de la demande est un élément déterminant pour l’accès au juge administratif via le REP.

Quand le recours pour excès de pouvoir est-il ouvert ?

À la lumière de cette jurisprudence, on peut retenir plusieurs principes :

  • Recevabilité du REP :
    • si la décision entraîne des effets notables autres que fiscaux,
    • si elle concerne une demande au titre de l’article L. 80 B, 2° notifiée préalablement à l’opération.
  • Irrecevabilité du REP :
    • si la demande de rescrit est postérieure à l’opération, sauf preuve d’effets extra-fiscaux,
    • si la contestation ne porte que sur les conséquences fiscales.
  • Particularité : les décisions par lesquelles l’administration revient sur une position favorable peuvent également être contestées, mais toujours dans le respect des conditions ci-dessus.

Les enjeux pratiques pour les entreprises et les contribuables

Cette précision jurisprudentielle présente des conséquences pratiques importantes :

  • Anticipation : il est crucial de déposer sa demande de rescrit avant de réaliser l’opération projetée, afin de bénéficier de la présomption d’effets notables.
  • Sécurisation : en cas de décision défavorable postérieure, il faudra démontrer concrètement les conséquences extra-fiscales pour espérer la recevabilité du recours.
  • Stratégie contentieuse : les contribuables doivent articuler leur argumentation non seulement sur le terrain fiscal, mais aussi sur les incidences économiques, contractuelles ou réglementaires de la décision.

À retenir

  • Le recours pour excès de pouvoir contre un rescrit fiscal défavorable est une voie étroite mais possible.
  • L’article L. 80 B du LPF, et en particulier son 2°, conditionne cette recevabilité.
  • L’antériorité de la demande par rapport à l’opération est déterminante.
  • L’administration peut revenir sur une décision favorable, mais cette nouvelle décision est contestable dans les mêmes conditions que toute décision défavorable.

La décision du Conseil d’État du 2 juin 2025 vient confirmer une jurisprudence constante tout en apportant une précision d’importance : l’exception de recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre un rescrit fiscal défavorable ou revenant sur une position favorable ne joue pleinement que si la demande est préalable à l’opération en cause.

Pour les entreprises comme pour les particuliers, la leçon est claire : il faut anticiper et formaliser les demandes de rescrit en amont, faute de quoi la voie du contentieux administratif risque de leur être fermée.

FAQ sur le recours pour excès de pouvoir contre un rescrit fiscal défavorable

Qu’est-ce qu’un rescrit fiscal ?

Le rescrit fiscal est une procédure prévue par le Livre des procédures fiscales qui permet à un contribuable, particulier ou entreprise, de demander à l’administration fiscale de se prononcer officiellement sur l’application d’un texte fiscal à une situation précise. L’objectif est de sécuriser juridiquement une opération avant sa réalisation. La réponse de l’administration constitue une prise de position formelle, qui lie cette dernière. Par exemple, une entreprise peut interroger l’administration sur l’éligibilité d’un projet à un régime d’exonération fiscale.

Peut-on contester un rescrit fiscal défavorable ?

En principe, un rescrit défavorable relève du contentieux fiscal classique et non du recours pour excès de pouvoir. Toutefois, la jurisprudence du Conseil d’État a ouvert une brèche : lorsque la décision de l’administration, à supposer que le contribuable s’y conforme, entraîne des effets notables autres que fiscaux, un recours pour excès de pouvoir est recevable. Cela signifie qu’au-delà du simple désaccord fiscal, le contribuable peut saisir le juge administratif si la décision impacte directement ses choix économiques, contractuels ou organisationnels.

Que signifie “effets notables autres que fiscaux” ?

Cette notion vise toutes les conséquences négatives qui ne se limitent pas à la fiscalité pure. Par exemple :

  • L’obligation de renoncer à un projet d’investissement déjà préparé.
  • L’impact sur la compétitivité de l’entreprise si elle ne peut plus bénéficier d’un régime fiscal incitatif.
  • Des contraintes contractuelles lourdes, lorsque des partenaires se retirent en raison de la décision fiscale.
  • Une atteinte durable à l’équilibre économique d’une société.
    En pratique, il s’agit d’évaluer les effets de la décision sur la stratégie globale du contribuable, et pas seulement sur le montant de l’impôt dû.

Quelles conditions doivent être remplies pour saisir le juge administratif ?

Pour que le recours soit recevable, deux conditions principales doivent être réunies :

  • Une demande préalable : le rescrit doit avoir été sollicité avant l’opération projetée, conformément à l’article L. 80 B, 2° du LPF. Dans ce cas, la décision défavorable est présumée produire des effets notables autres que fiscaux.
  • Une justification d’effets extra-fiscaux : si la demande est déposée après l’opération, la présomption tombe. Le contribuable doit alors démontrer de manière précise les conséquences extra-fiscales (perte d’un marché, renoncement à un projet, difficultés économiques substantielles).

Sans ces éléments, le recours pour excès de pouvoir est irrecevable, et le contribuable doit se limiter au contentieux fiscal de droit commun.

L’administration peut-elle revenir sur un rescrit favorable ?

Oui. Contrairement à une idée répandue, la position favorable de l’administration n’est pas toujours définitive. L’administration fiscale conserve la faculté de revenir sur une décision antérieure favorable, par exemple à la suite d’un nouvel examen du dossier. Toutefois, la nouvelle décision ainsi rendue est contestable dans les mêmes conditions qu’un rescrit défavorable. Le contribuable peut donc, si les conditions sont remplies (demande préalable, effets notables autres que fiscaux), introduire un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.