Nouvelle doctrine fiscale pour les gérants de SEL : ce qu’il faut retenir
- Fin du forfait 5 % : la quote-part automatique de rémunération imposable au titre de l’article 62 CGI est annulée ; place à la ventilation réelle.
- Preuve documentaire renforcée : descriptions de poste, temps passé et pièces comptables deviennent indispensables pour distinguer revenus de gérance et honoraires libéraux.
- Ventilation TVA / CFE inchangée : seule la part libérale supporte la TVA et la cotisation foncière ; la rémunération de gérance, assimilée à un salaire, en demeure exonérée.
- Sécurité juridique limitée à 2024 : les contribuables peuvent encore se prévaloir du forfait annulé pour les exercices antérieurs grâce à l’article L 80 A LPF.
Arrêt du 8 avril 2025 : rappel des faits et portée immédiate
Le Conseil d’État, saisi par le Conseil national des barreaux, a partiellement annulé le 8 avril 2025 la doctrine administrative relative à l’imposition des rémunérations perçues par les gérants majoritaires de sociétés d’exercice libéral (SEL). L’arrêt (CE, 8 avr. 2025, n° 492154) invalide deux points majeurs :
- la qualification automatique de 5 % de la rémunération globale comme revenus de gérance imposables au titre de l’article 62 du CGI ;
- la liste, présentée comme exhaustive, des tâches « inhérentes » à l’activité libérale (facturation, encaissements, gestion du personnel), exclues des fonctions de gérance.
En pratique, l’administration ne peut plus appliquer ces règles forfaitaires dès les revenus 2025, même si les contribuables demeurent protégés pour les exercices antérieurs par l’article L 80 A du LPF.
Qualification fiscale des rémunérations : article 62 CGI versus bénéfices non commerciaux
1. Les textes applicables
- Article 62 CGI : sont imposables comme traitements et salaires « les rémunérations de gérance » versées aux gérants majoritaires de SARL assujetties à l’IS ou de SELARL, sous réserve qu’elles se rattachent aux fonctions transversales de direction.
- Articles 92 et 93 CGI : relèvent des BNC les profits tirés de l’exercice personnel d’une profession libérale en l’absence de lien de subordination.
2. Le critère jurisprudentiel
Le Conseil d’État rappelle sa grille d’analyse : distinguer les tâches strictement liées à la gérance (stratégie, comptabilité générale, représentation de la société) de celles inhérentes à l’activité libérale (consultations, actes techniques, prescriptions). Il appartient désormais au contribuable de démontrer, justificatifs à l’appui, la ventilation réelle de ses honoraires.
3. Fin du forfait 5 % : régime transitoire
Le forfait doctrinal de 5 % répondait à une logique de simplification ; son annulation redonne vigueur à la preuve par la réalité économique. S’agissant de l’exercice 2024, les praticiens peuvent toutefois l’invoquer sur le fondement de l’article L 80 A LPF (sécurité juridique), le fait générateur étant antérieur à l’annulation.
Impact pour les gérants de SEL : questions opérationnelles
A. Comment déterminer la part article 62 CGI ?
Méthode recommandée
- établir une description de poste précisant les fonctions de direction ;
- ventiler les heures consacrées à la gestion (conseil d’administration, relations banques, audits) ;
- corréler la rémunération de gérance à cette charge objective (taux horaire ou fixe annuel).
A défaut de justification, l’administration pourrait estimer que la rémunération est intégralement libérale et la requalifier en BNC, avec le risque d’une cotisation sociale Urssaf accrue.
B. TVA et cotisation foncière des entreprises
Les honoraires libéraux facturés par la SEL demeurent soumis à la TVA et à la CFE ; la rémunération article 62, assimilée à un salaire, en est exclue. Une ventilation claire protège la société contre un rappel de TVA et la double imposition CFE/IS.
C. Distribution de dividendes
L’article 62 ne couvre pas les dividendes versés aux associés, y compris gérants. Toutefois, en cas de sous-rémunération manifeste de la gérance, l’administration pourrait requalifier une partie des dividendes en rémunération ; la démonstration d’une rétribution de direction cohérente réduit ce risque.
Stratégies de mise en conformité pour les cabinets et entreprises libérales
Actualiser la gouvernance interne
- Contrat de gérance : intégrer un tableau des tâches, indicateurs et temps estimé.
- Procès-verbaux : motiver chaque augmentation ou prime de gérance, en lien avec de nouveaux objectifs de pilotage.
- Comptabilité analytique : séparer les comptes « 721 — Rémunération gérance » et « 708 — Prestations libérales ».
Sécuriser la preuve documentaire
- feuilles de temps ou agendas électroniques ;
- tableaux de bord mensuels (gestion de trésorerie, RH, conformité) ;
- correspondance bancaire ou institutionnelle relevée à l’appui des missions transversales.
Anticiper le contrôle
En cas de vérification, la société doit être en mesure d’expliquer :
- Pourquoi la partie article 62 est justifiée (nature des fonctions) ;
- Comment elle est évaluée (clé de répartition) ;
- Quelles pièces corroborent cette répartition (contrats, rapports annuels, relevés d’heures).
Vers un pilotage fiscal plus granulaire
La décision du 8 avril 2025 ramène la rémunération du gérant de SEL à un principe d’exacte proportion : toute quote-part de revenus doit refléter une tâche précise et documentée. L’ère du forfait administratif est close ; celle du chiffrage analytique s’ouvre. Avocats en droit des sociétés à Versailles, experts-comptables et dirigeants devront mettre en place des outils de suivi rigoureux afin de :
- respecter la distinction article 62 / BNC ;
- éviter une double taxation sociale ;
- renforcer la crédibilité financière de la SEL auprès des partenaires bancaires.
Le respect de ces exigences n’est pas qu’une obligation fiscale ; il devient un paramètre clé de la gouvernance et de l’attractivité capitalistique des structures libérales.