Le Bouard Avocats
La révocation d’un gérant de SARL n’est plus seulement un vote de gouvernance ; c’est, pour les dirigeants qui l’initient ou la subissent, un test grandeur nature de leur maîtrise du droit des sociétés et de leur exposition personnelle. Avant le 1er octobre 2025, l’article L 235-1 du Code de commerce réserve la nullité d’une assemblée générale aux seules violations d’une disposition impérative du Livre II ou du droit commun des contrats.
Après cette date, l’article 1844-10 du Code civil, issu de l’ordonnance 2025-229, prendra le relais : seule la méconnaissance d’une « disposition impérative de droit des sociétés » ou une cause générale de nullité contractuelle pourra faire tomber une décision sociale.
À première vue, le changement paraît sémantique ; en pratique, il intime au dirigeant d’auditer chaque étape du processus et de documenter tout motif de révocation, même s’il ne le consigne plus systématiquement dans le procès-verbal. Dans le cadre d'une assemblée générale, il est régulièrement recommandé de se faire assister d'un avocat en droit des affaires afin d'assurer de la bonne tenue de l'assemblée.
Un gérant évincé sans motif sincère peut solliciter des dommages-intérêts sur le fondement de l’article L 223-25. Le dirigeant majoritaire responsable de la manœuvre devra démontrer :
Mentionner un motif fictif ou diffamatoire dans le PV peut constituer un faux en écriture de commerce (art. 441-1 C. pén.). L’omission d’un motif réel n’est pas pénalement sanctionnée ; en revanche, une insertion mensongère l’est.
Depuis l’arrêt Com., 18 mai 2010, confirmé en 2025, l’abus de majorité suppose deux critères cumulatifs : décision contraire à l’intérêt social et prise pour favoriser la majorité au détriment de la minorité. Le gérant écarté pourra invoquer cette double condition mais devra en rapporter la preuve (Cass. com., 7 mai 2025). Si l’action aboutit, la nullité intervient et la responsabilité des votants peut être engagée.
Un dirigeant prudent se dote d’un dossier écrit : rapports de performance, retards répétés, manquements statutaires. L’objectif ? Prouver, a posteriori, le juste motif – même si celui-ci ne figure pas dans le procès-verbal. Conserver :
Le gérant sortant doit recevoir la convocation dans les délais statutaires (quinze jours en pratique). Les pièces à joindre : ordre du jour, projets de résolutions, pouvoir de représentation. L’omission d’une pièce essentielle peut être qualifiée de réticence dolosive et fragiliser la décision.
Le président veille à :
Le contenu du PV doit suffire à démontrer la régularité formelle – pas nécessairement le bien-fondé.
Déposer le PV et le formulaire M3 dans le délai d’un mois (art. R 123-66 C. com.). Adresser, le jour même, la notification au gérant évincé avec accusé de réception ; le délai de contestation de trois ans (action en nullité) court à compter de la décision.
La jurisprudence évalue le préjudice sur :
Une négociation transactionnelle permet souvent de limiter le coût ; prévoir un protocole de sortie signé avec clause de confidentialité.
Le nouveau gérant doit être nommé le même jour pour éviter une vacance de pouvoir. Vérifier la compatibilité de son mandat avec les dispositifs de délégation de pouvoirs ou de signature bancaire existants. La blocage d’un compte courant pendant quarante-huit heures suffit parfois à générer un préjudice commercial.
Un communiqué interne factuel : « Le gérant X cesse ses fonctions ; M. Y est nommé ». Éviter toute critique du gérant sortant pour ne pas nourrir une action en diffamation. Vis-à-vis des partenaires, un extrait K-bis actualisé suffit ; pas besoin d’expliquer les motifs en externe.
Révoquer un gérant n’est plus un acte improvisé ; c’est une opération de risk-management. La Cour de cassation, par son arrêt de mai 2025, invite le dirigeant à distinguer clairement :
En adoptant ces réflexes, le chef d’entreprise sécurise sa gouvernance, anticipe la réforme d’octobre 2025 et limite son exposition personnelle. La révocation redevient alors ce qu’elle doit être : un levier stratégique de pilotage, parfaitement encadré, au service de l’intérêt social.