July 8, 2025

Le Bouard Avocats

Révocation du gérant de SARL : que doit anticiper le dirigeant pour éviter la nullité et engager sa responsabilité ?

Révoquer un gérant de SARL sans déclencher la nullité : l’essentiel en quatre points

  • Le procès-verbal n’a pas à mentionner le motif : faute de texte impératif, l’assemblée ne peut être annulée pour cette seule omission (Cass. com., 7 mai 2025).
  • La violation d’une clause statutaire reste inopérante tant qu’elle n’aménage pas une règle légale impérative ; la nullité exige la transgression d’un texte de droit des sociétés.
  • La preuve de l’abus de majorité pèse sur le gérant évincé ; le dirigeant majoritaire doit toutefois documenter un juste motif pour limiter le risque indemnitaire (art. L 223-25).
  • À compter du 1ᵉʳ octobre 2025, seule la méconnaissance d’une « disposition impérative de droit des sociétés » (art. 1844-10 C. civ.) fondera l’action en nullité : le formalisme prime, la motivation reste facultative.

Comprendre le nouveau paysage juridique avant d’agir

La révocation d’un gérant de SARL n’est plus seulement un vote de gouvernance ; c’est, pour les dirigeants qui l’initient ou la subissent, un test grandeur nature de leur maîtrise du droit des sociétés et de leur exposition personnelle. Avant le 1er octobre 2025, l’article L 235-1 du Code de commerce réserve la nullité d’une assemblée générale aux seules violations d’une disposition impérative du Livre II ou du droit commun des contrats.

Après cette date, l’article 1844-10 du Code civil, issu de l’ordonnance 2025-229, prendra le relais : seule la méconnaissance d’une « disposition impérative de droit des sociétés » ou une cause générale de nullité contractuelle pourra faire tomber une décision sociale.

À première vue, le changement paraît sémantique ; en pratique, il intime au dirigeant d’auditer chaque étape du processus et de documenter tout motif de révocation, même s’il ne le consigne plus systématiquement dans le procès-verbal. Dans le cadre d'une assemblée générale, il est régulièrement recommandé de se faire assister d'un avocat en droit des affaires afin d'assurer de la bonne tenue de l'assemblée.

Les textes clefs que le dirigeant doit avoir à l’esprit

  • Article L 223-25 : la révocation du dirigeant sans juste motif demeure valable mais ouvre droit à indemnité.
  • Article R 223-24 : le procès-verbal enregistre les résolutions, les votes et les pouvoirs ; il n’exige pas la mention du motif.
  • Article 1315 du Code civil : celui qui allègue un abus de majorité doit en rapporter la preuve.
  • Arrêt Cass. com., 7 mai 2025, n° 23-21.508 : la non-inscription du motif dans le PV n’emporte pas nullité si aucun texte impératif ne l’exige.

Identifier les risques personnels du dirigeant

Responsabilité civile pour révocation abusive

Un gérant évincé sans motif sincère peut solliciter des dommages-intérêts sur le fondement de l’article L 223-25. Le dirigeant majoritaire responsable de la manœuvre devra démontrer :

  • que la décision sert l’intérêt social (et non son intérêt propre) ;
  • que la procédure de convocation a respecté délais, quorum et majorité de l’article L 223-27 ;
  • que l’information envoyée au gérant révoqué a été loyale et complète.

Risque pénal en cas de faux procès-verbal

Mentionner un motif fictif ou diffamatoire dans le PV peut constituer un faux en écriture de commerce (art. 441-1 C. pén.). L’omission d’un motif réel n’est pas pénalement sanctionnée ; en revanche, une insertion mensongère l’est.

Engagement de l’abus de majorité

Depuis l’arrêt Com., 18 mai 2010, confirmé en 2025, l’abus de majorité suppose deux critères cumulatifs : décision contraire à l’intérêt social et prise pour favoriser la majorité au détriment de la minorité. Le gérant écarté pourra invoquer cette double condition mais devra en rapporter la preuve (Cass. com., 7 mai 2025). Si l’action aboutit, la nullité intervient et la responsabilité des votants peut être engagée.

Mettre en place un protocole prudentiel avant le vote

Étape 1 : constituer un dossier factuel

Un dirigeant prudent se dote d’un dossier écrit : rapports de performance, retards répétés, manquements statutaires. L’objectif ? Prouver, a posteriori, le juste motif – même si celui-ci ne figure pas dans le procès-verbal. Conserver :

  • procès-verbaux des réunions antérieures ;
  • courriers de mise en garde adressés au gérant ;
  • avis d’expert sur la situation financière ou RH.

Étape 2 : sécuriser la convocation

Le gérant sortant doit recevoir la convocation dans les délais statutaires (quinze jours en pratique). Les pièces à joindre : ordre du jour, projets de résolutions, pouvoir de représentation. L’omission d’une pièce essentielle peut être qualifiée de réticence dolosive et fragiliser la décision.

Étape 3 : conduire l’assemblée de manière irréprochable

Le président veille à :

  • vérifier le quorum ;
  • faire émarger la feuille de présence ;
  • faire voter résolution par résolution ;
  • consigner les votes sans commenter le motif.

Le contenu du PV doit suffire à démontrer la régularité formelle – pas nécessairement le bien-fondé.

Étape 4 : publier et notifier

Déposer le PV et le formulaire M3 dans le délai d’un mois (art. R 123-66 C. com.). Adresser, le jour même, la notification au gérant évincé avec accusé de réception ; le délai de contestation de trois ans (action en nullité) court à compter de la décision.

Développer une stratégie post-révocation

Anticiper la demande d’indemnité

La jurisprudence évalue le préjudice sur :

  • la rémunération restant à courir jusqu’au terme statutaire ;
  • le préjudice moral (image, honneur) ;
  • la perte de chance de réaliser des plus-values.

Une négociation transactionnelle permet souvent de limiter le coût ; prévoir un protocole de sortie signé avec clause de confidentialité.

Remplacer le gérant sans rupture de continuité

Le nouveau gérant doit être nommé le même jour pour éviter une vacance de pouvoir. Vérifier la compatibilité de son mandat avec les dispositifs de délégation de pouvoirs ou de signature bancaire existants. La blocage d’un compte courant pendant quarante-huit heures suffit parfois à générer un préjudice commercial.

Communiquer sans créer de contentieux social

Un communiqué interne factuel : « Le gérant X cesse ses fonctions ; M. Y est nommé ». Éviter toute critique du gérant sortant pour ne pas nourrir une action en diffamation. Vis-à-vis des partenaires, un extrait K-bis actualisé suffit ; pas besoin d’expliquer les motifs en externe.

Focus sur la réforme 2025 : quels réflexes nouveaux ?

De L 235-1 à 1844-10 : ce qui change réellement

Avant 1er octobre 2025 Après 1er octobre 2025
Nullité : violation d’une disposition impérative du Livre II ou des lois contractuelles Nullité : violation d’une disposition impérative de droit des sociétés ou cause générale de nullité
Clauses statutaires ignorées : pas de nullité, sauf si elles aménagent un texte impératif Même principe ; la charge de prouver le caractère impératif reste à la partie demanderesse
Jurisprudence abondante sur l’abus de majorité Jurisprudence devrait s’aligner, mais les juges pourront se référer à la nouvelle hiérarchie des textes

Les nouveaux points de vigilance du dirigeant

  • Relecture des statuts pour détecter les clauses inspirées d’un texte impératif (ex. variable de quorum) ; leur violation pourrait désormais fonder la nullité.
  • Traçabilité numérique : courriels de convocation, dossiers partagés, signature électronique des feuilles de présence.
  • Formation des membres du bureau : s’assurer qu’ils connaissent la réforme et adaptent la rédaction des procès-verbaux.

Conclusion : une révocation efficace, discrète et juridiquement neutre

Révoquer un gérant n’est plus un acte improvisé ; c’est une opération de risk-management. La Cour de cassation, par son arrêt de mai 2025, invite le dirigeant à distinguer clairement :

  1. La validité : respecter les règles impératives, sans s’encombrer d’exigences statutaires superfétatoires.
  2. L’équité : constituer la preuve du juste motif pour prévenir l’action indemnitaire.
  3. La communication : rester factuel, conserver la réputation de la société et du dirigeant révoqué.

En adoptant ces réflexes, le chef d’entreprise sécurise sa gouvernance, anticipe la réforme d’octobre 2025 et limite son exposition personnelle. La révocation redevient alors ce qu’elle doit être : un levier stratégique de pilotage, parfaitement encadré, au service de l’intérêt social.