Travaux en cours : peut-on vraiment échapper à la revalorisation fiscale ?
- Un chantier en cours n’entraîne aucune révision immédiate de la valeur locative ; l’état des lieux reste considéré comme provisoire.
- Seuls les travaux achevés créent un changement de caractéristiques physiques au sens de l’article 1517 CGI, déclenchant alors la mise à jour de la taxe foncière.
- Tant que le bien est en transformation, aucune déclaration n’est requise et l’assiette fiscale demeure celle d’avant chantier jusqu’au 1ᵉʳ janvier suivant l’achèvement.
- L’arrêt CE, 5 mai 2025, n° 499328 (Pamier) entérine cette distinction et confirme la conformité de la règle au principe d’égalité devant l’impôt.
Les maîtres d’ouvrage et les bailleurs l’apprennent souvent à leurs dépens : entamer un chantier sur un immeuble n’entraîne pas forcément une révision immédiate de la taxe foncière. Depuis la décision CE, 5 mai 2025, n° 499328 (SARL Pamier), la haute juridiction a clairement distingué deux situations : d’un côté, les immeubles simplement « affectés » par des travaux en cours ; de l’autre, ceux dont les caractéristiques physiques ont déjà muté du fait de travaux achevés. Penser stratégie fiscale tout en pilotant le calendrier des travaux devient alors un exercice d’équilibriste.
Cadre légal du changement de caractéristiques physiques
Le périmètre du I de l’article 1517 CGI
L’article 1517, I-1 du Code général des impôts (CGI) énumère, chaque année, les événements susceptibles d’entraîner une mise à jour de la valeur locative cadastrale :
- Constructions nouvelles ;
- Changements de consistance (par exemple, surélévation ou démolition partielle) ;
- Changements d’affectation (passage de l’habitation au commerce, etc.) ;
- Changements de caractéristiques physiques (surface, volume, éléments structurels) ;
- Changements d’environnement (équipements publics ou infrastructures modifiant l’attractivité du secteur).
C’est la quatrième catégorie qui concentre les débats, car elle peut déclencher une réévaluation substantielle de la taxe foncière.
Un critère juridique : la situation stabilisée
Le Conseil d’État rappelle que le législateur vise des situations stabilisées : pour qu’il y ait « changement de caractéristiques physiques », l’immeuble doit avoir atteint un nouvel état pérenne, mesurable et exploitable. À défaut, l’administration ne dispose d’aucun support fiable pour recalculer la valeur locative.
Travaux en cours versus travaux achevés : la position du Conseil d’État
L’arrêt Pamier : une frontière nette
Dans l’affaire Pamier, trois bâtiments industriels avaient été désossés ; façades et toitures avaient disparu, mais le béton brut du gros œuvre subsistait. La société requérante soutenait que cette déstructuration rendait les biens impropres à toute utilisation et justifiait une exonération provisoire. Le Conseil d’État rejette : tant que le chantier n’est pas achevé, la situation demeure « transitoire ». L’immeuble n’a pas encore acquis les caractéristiques physiques destinées à subsister après réception des travaux ; il n’y a donc pas de changement au sens de l’article 1517.
En pratique : la base d’imposition reste celle qui prévalait avant le début des travaux, sauf si le contribuable démontre une destruction totale ou une impropriété absolue rendant l’immeuble inexploit-able.
Jurisprudence antérieure : un mouvement cohérent
Cette ligne s’inscrit dans la continuité de l’ordonnance d’irrecevabilité CE, 3 mars 2022, n° 447340, qui refusait déjà de qualifier de « changement de caractéristiques » les altérations provisoires d’un chantier. La cohérence de la jurisprudence conforte la sécurité juridique : les opérateurs savent désormais que seuls les travaux achevés déclencheront la revalorisation.
Conséquences pratiques pour les propriétaires : évaluation et déclaration
Quand déclarer un changement de consistance ?
L’article 1406 CGI oblige le propriétaire à signaler, dans les 90 jours de l’achèvement, toute modification ouvrant droit à révision. Tant que les travaux sont en cours :
- Aucune déclaration n’est exigée au titre de l’article 1517 ;
- La taxe foncière continue d’être établie sur la base antérieure ;
- Les éventuelles exonérations liées aux constructions nouvelles (articles 1383 et suivants CGI) ne s’appliquent qu’à compter de l’achèvement au sens fiscal (mise hors d’eau et hors d’air, équipements essentiels opérationnels).
Bonnes pratiques pour anticiper la revalorisation locative
- Calendrier précis : planifier la date d’achèvement pour maîtriser la prise d’effet fiscale au 1ᵉʳ janvier suivant.
- Audit de valorisation : faire estimer, avant réception, la nouvelle valeur locative afin de budgéter la future taxation.
- Documentation photographique : conserver un dossier daté du chantier, utile en cas de contestation de l’administration.
Impacts fiscaux et stratégies d’optimisation
Effets sur la base imposable
Une fois les travaux achevés :
- Nouvelle valeur locative déterminée selon les règles de l’article 1498 CGI (méthode par comparaison ou méthode comptable pour les locaux industriels).
- Application des coefficients communaux fixés chaque année par délibération.
- Résultat : hausse ou baisse de la taxe foncière, la valeur locative pouvant aussi diminuer si la restructuration réduit les surfaces.
Dispositifs de lissage et exonérations temporaires
Pour limiter les à-coups :
- Lissage triennal (article 1518 B CGI) : si la variation de valeur locative excède 30 %, l’administration applique un étalement sur trois ans.
- Exonération de deux ans pour les constructions nouvelles à usage d’habitation (article 1383 CGI).
- Abattement en zone de revitalisation : possible baisse de 50 % sur délibération locale.
Risques contentieux et bonnes pratiques procédurales
Le rôle de la preuve
En cas de litige, le contribuable supporte la charge de démontrer :
- L’achèvement réel ou, au contraire, le caractère inachevé du chantier à la date de référence ;
- Le niveau d’impropriété à l’usage, lorsqu’il invoque une exoneration pour inutilisabilité totale (article 1389 CGI).
Pièces déterminantes : constat d’huissier, rapport d’expertise technique, courriers d’assurance dommages-ouvrage.
Procédure de réclamation
- Délai : 31 décembre de l’année suivant la mise en recouvrement (article R* 196-2 LPF).
- Voie hiérarchique : réclamation au service des impôts fonciers, puis tribunal administratif.
- Fondement juridique : erreur sur la consistance ou méconnaissance de l’article 1517 CGI.
Conclusion : une doctrine stabilisée, un pilotage fiscal nécessaire
La frontière jurisprudentielle est désormais nette : un chantier en cours n’altère pas immédiatement l’assiette de la taxe foncière, sauf destruction totale. Pour le propriétaire, l’enjeu consiste à calibrer son calendrier d’achèvement et à sécuriser sa documentation afin d’éviter un redressement ou, à l’inverse, de réclamer une baisse méritée. Le dialogue anticipé avec l’administration, adossé à une lecture attentive des articles 1516 et 1517 CGI, demeure la meilleure parade contre les mauvaises surprises fiscales.