Le Bouard Avocats


La question touche au cœur de la gouvernance des sociétés par actions. Selon l’ANSA (avis n° 25-047 du 3 septembre 2025), il est juridiquement possible, dans les SA non cotées et les SAS, de créer ou de prévoir des droits de vote multiples garantissant à un actionnaire les deux tiers des voix, quelles que soient les augmentations futures du capital.
Voici les points essentiels :

L’équilibre des pouvoirs au sein d’une société par actions constitue l’un des enjeux les plus sensibles de la gouvernance. L’architecture du capital, la répartition des droits de vote et la capacité des associés à peser sur les décisions collectives conditionnent la stabilité de la société autant que l’attractivité du projet pour les investisseurs. Dans sa communication du 3 septembre 2025 (n° 25-047), l’Association nationale des sociétés par actions (ANSA) se positionne sur une question particulièrement structurante : est-il possible de créer des actions de préférence conférant durablement à un actionnaire les deux tiers des droits de vote, quelle que soit l’évolution du capital social ?
La réponse de l’ANSA est claire : oui, cette structuration est juridiquement possible dans les SA non cotées et dans les SAS, sous certaines conditions. Cette prise de position ouvre des perspectives nouvelles en matière de contrôle sociétaire, tout en soulevant des interrogations relatives à l’équilibre entre attractivité du capital et protection des minoritaires.
L’article L. 228-11 du Code de commerce définit les actions de préférence comme des actions dérogatoires pouvant conférer des droits particuliers de toute nature, qu’ils soient pécuniaires ou politiques. Il autorise donc expressément :
Il est notable qu’aucun plafond légal n’est prévu pour les SA non cotées. Le législateur n’impose pas de ratio maximal entre le droit de vote privilégié et la participation au capital. Contrairement aux sociétés cotées, où la proportionnalité du droit de vote est encadrée, les SA non admises aux négociations sur un marché réglementé disposent d’une liberté potentiellement très large.
Le principe d’égalité s’apprécie au sein d’une même catégorie d’actions. Dès lors que les statuts créent une catégorie distincte d’actions de préférence, il n’y a pas rupture du principe d’égalité entre actionnaires ordinaires, ceux-ci conservant des droits identiques entre eux.
La Cour de cassation admet depuis longtemps que l’égalité ne signifie pas uniformité et que des droits particuliers peuvent être attribués dès lors qu’ils résultent d’une création statutaire transparente et justifiable.
L’ANSA valide la possibilité d’émettre des actions de préférence attribuant en toutes circonstances les deux tiers des droits de vote à un actionnaire déterminé.
Le mécanisme implique que :
Cette position s’appuie sur une lecture large de l’article L. 228-11, qui n’interdit aucunement la création d’un tel privilège politique.
L’ANSA insiste sur la distinction essentielle entre :
Détenir deux tiers des droits de vote n’équivaut pas à un droit de veto :
Dans cette conception, la majorité immuable n'est pas un mécanisme d'entrave, mais un outil de stabilité.
La position vaut « a fortiori » pour les SAS.
En effet, l’article L. 227-9 du Code de commerce confie aux statuts le soin de déterminer :
Il n’est même pas nécessaire, dans une SAS, de recourir à des actions de préférence pour instaurer un droit de vote multiple. Les statuts peuvent directement attribuer à un associé une part disproportionnée des voix.
Cette flexibilité, caractéristique de la SAS, rend ce véhicule particulièrement adapté aux structures où un actionnaire fondateur souhaite conserver durablement un contrôle stratégique.

L’ANSA souligne un point crucial : attribuer d’emblée deux tiers des droits de vote à un associé peut dissuader fortement l’entrée d’investisseurs extérieurs, en raison :
Les investisseurs institutionnels sont particulièrement sensibles à la question des droits politiques. Une majorité immuable peut donc être un frein à la levée de fonds.
L’actionnaire bénéficiant d’un tel privilège n’est pas exonéré des obligations d’exercice loyal de ses droits. Il reste soumis au principe jurisprudentiel de l’abus de majorité, caractérisé lorsque :
Même avec deux tiers des droits de vote, un associé peut engager sa responsabilité civile en cas d’abus.
Pour les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation (SMN), les règles sont beaucoup plus strictes.
En particulier :
Ainsi, la majorité immuable de deux tiers est impossible dans les sociétés cotées.
La position de l’ANSA confirme la grande souplesse offerte par le droit français en matière d’organisation des droits de vote dans les SA non cotées et les SAS. Il est juridiquement possible de conférer à un actionnaire une majorité permanente de deux tiers, sous réserve du respect des principes généraux (égalité intra-catégorielle, absence d’engagement perpétuel, absence d’abus).
Cet outil présente un intérêt évident :
Mais il comporte aussi des risques :
Pour les dirigeants, investisseurs et fondateurs, l’enjeu est de trouver un équilibre entre puissance politique et attractivité capitalistique.
Pour les praticiens du droit, cet avis de l’ANSA constitue un repère précieux dans l’ingénierie des statuts et des opérations de haut de bilan.
Oui, dans les SA non cotées et les SAS, cette structuration est licite.
L’article L.228-11 du Code de commerce autorise les actions de préférence conférant des droits dérogatoires, sans limiter le nombre de voix attaché à chaque action. L’ANSA estime donc qu’il est possible de prévoir statutairement des actions conférant une majorité constante de deux tiers. Cette majorité renforcée n’équivaut pas à un droit de veto et ne prive pas les autres actionnaires de leur participation aux décisions collectives.
Le mécanisme repose sur un ajustement dynamique :
Ce mécanisme doit être expressément prévu dans les statuts au moment de l’émission des actions de préférence.
Il ne s’agit pas d’un engagement perpétuel prohibé, car ce n’est pas une obligation contractuelle entre associés mais une règle statutaire impersonnelle attachée aux titres.
Non. Le principe d’égalité s’apprécie à l’intérieur de chaque catégorie de titres.
Les détenteurs d’actions ordinaires demeurent égaux entre eux ; les détenteurs d’actions de préférence également. La création d’une catégorie bénéficiant de droits de vote multiples est licite dès lors :
Ce fonctionnement est conforme à la jurisprudence constante sur l’égalité intra-catégorielle.
Non. Les sociétés admises aux négociations sur un marché réglementé ou un SMN sont soumises à un régime très strict :
Ainsi, une majorité immuable de deux tiers est impossible dans les sociétés cotées.
Plusieurs risques doivent être anticipés :
Le titulaire des deux tiers des voix doit exercer son pouvoir dans l’intérêt social.
Une décision adoptée dans son seul intérêt et au détriment de la société pourrait être annulée.
Un contrôle incontestable rend la société moins attractive pour les fonds ou business angels, qui cherchent généralement des mécanismes d’équilibre ou de co-décision.
Même sans veto, une majorité immuable peut conduire à une gouvernance figée, difficile à réformer.
Toute décision contestable pourra être scrutée à l’aune de l’intérêt social et de l’absence d’abus.
Les investisseurs pousseront souvent à encadrer le dispositif (limitation temporelle, clauses de bad leaver, quorum renforcé).