Le Bouard Avocats
L’assimilation d’une société étrangère à une société française permet de déterminer la forme juridique nationale la plus proche d’une entité constituée à l’étranger, afin d’en fixer le régime fiscal applicable en France. Ce mécanisme, d’apparence technique, revêt une portée stratégique pour les entreprises exerçant à l’international et pour leurs conseils juridiques.
À retenir :
L’assimilation d’une société étrangère à une société française constitue un mécanisme essentiel du droit fiscal international. Elle permet de déterminer, lorsqu’une entité constituée à l’étranger exerce une activité en France, le régime fiscal applicable à ses bénéfices. L’opération vise à rapprocher cette société du modèle juridique français le plus équivalent, afin d’assurer une application cohérente des règles fiscales nationales.
La récente décision du Conseil d’État du 25 juillet 2025 (n° 489925, société Joy Events) apporte d’importantes précisions sur la méthode à suivre pour opérer cette assimilation. Elle s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure, tout en renforçant les critères d’analyse retenus par le juge de l’impôt.
Selon une jurisprudence constante, le juge de l’impôt doit procéder à une double analyse :
Cette méthode assure que la fiscalité applicable ne dépende pas du seul lieu d’immatriculation, mais de la nature juridique réelle de la structure.
L’assimilation n’est pas purement formelle. Elle repose sur un faisceau d’indices juridiques et économiques, parmi lesquels :
Le juge examine concrètement la combinaison de ces éléments pour déterminer si la société étrangère relève davantage de la logique contractuelle d’une société de personnes, ou de la structure institutionnelle d’une société de capitaux.
La société britannique Joy Events Ltd, constituée sous la forme de Private Limited Company by Shares et détenue par un associé unique, exerçait une activité d’évènementiel en France. L’administration fiscale avait considéré qu’elle relevait de l’impôt sur les sociétés et devait supporter une retenue à la source sur les bénéfices réputés distribués à son associé non résident.
Saisie du litige, la cour administrative d’appel avait assimilé cette société à une SARL unipersonnelle, en se fondant uniquement sur l’égalité des “shares” prévue dans son certificat d’enregistrement.
Le Conseil d’État annule cette décision. Il rappelle que le juge ne peut se limiter à un critère unique et formel pour déterminer la forme sociale française correspondante.
L’analyse doit porter à la fois sur :
En l’espèce, la société Joy Events avait adopté des statuts types, dépourvus de la liberté statutaire caractéristique des SAS françaises. Cette absence de souplesse statutaire a conduit le Conseil d’État à confirmer son assimilation à une SARL, structure au cadre juridique plus rigide.
L’article 206 du Code général des impôts prévoit que les sociétés anonymes, les sociétés par actions simplifiées et les sociétés à responsabilité limitée sont soumises à l’impôt sur les sociétés, sauf option pour le régime des sociétés de personnes.
Inversement, l’article 8 du même code dispose que les associés de certaines sociétés, dont les SARL unipersonnelles détenues par une personne physique, sont personnellement imposés à l’impôt sur le revenu pour la part de bénéfices leur revenant.
Dans l’affaire Joy Events, le Conseil d’État a appliqué ces dispositions : la société, assimilée à une SARL unipersonnelle, n’ayant pas opté pour l’impôt sur les sociétés, ses résultats étaient imposables directement entre les mains de son associé unique, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.
L’article 115 quinquies du Code général des impôts prévoit que les bénéfices réalisés en France par des sociétés étrangères sont réputés distribués à leurs associés non résidents, entraînant l’application d’une retenue à la source en vertu de l’article 119 bis.
Toutefois, cette retenue ne s’applique que lorsque la société étrangère est assimilée à une société de capitaux passible de l’impôt sur les sociétés.
En conséquence, une société étrangère assimilée à une SARL transparente fiscalement échappe à cette retenue, ses bénéfices étant réputés directement perçus par son associé résident à l’étranger.
Le Conseil d’État fait de la liberté statutaire un critère décisif pour distinguer les formes sociales.
Ainsi, une société étrangère dont les statuts reprennent un modèle préétabli sans marge d’adaptation sera assimilée à une SARL, tandis qu’une société dotée de statuts modulables et d’une gouvernance librement aménagée pourra être rapprochée d’une SAS.
Ce critère reflète la philosophie du droit des sociétés français :
Le juge ne saurait se contenter d’une comparaison abstraite des formes sociales.
L’examen doit articuler deux niveaux :
Cette approche prévient les assimilations mécaniques et garantit une cohérence entre la réalité juridique étrangère et la structure française correspondante.
Pour les praticiens du droit commercial et fiscal, cette jurisprudence invite à une vigilance accrue lors de la création ou de l’acquisition d’entités étrangères destinées à exercer en France.
Il est recommandé de :
Une mauvaise assimilation peut avoir des conséquences fiscales lourdes : imposition erronée, double imposition, ou remise en cause d’avantages conventionnels.
Cette décision illustre le souci du juge administratif de préserver une cohérence entre les régimes nationaux et les structures internationales.
L’assimilation ne vise pas à imposer uniformément, mais à garantir une égalité de traitement entre les sociétés françaises et étrangères exerçant une activité comparable sur le territoire national.
L’arrêt du 25 juillet 2025 consacre une vision exigeante et nuancée de l’assimilation d’une société étrangère à une société française.
Il impose au juge comme au praticien une approche fondée sur la réalité juridique plutôt que sur les apparences formelles.
L’examen combiné du droit étranger et des statuts particuliers de la société étrangère devient la pierre angulaire de la qualification, tandis que la liberté statutaire s’affirme comme le critère clé de distinction entre SARL et SAS.
Cette jurisprudence constitue un guide précieux pour les professionnels du droit des affaires, appelés à structurer ou à défendre des opérations transfrontalières. Elle rappelle qu’en matière fiscale, la forme juridique n’est jamais une simple étiquette, mais un instrument dont la portée dépend de la cohérence entre le droit, les statuts et la réalité économique.
L’assimilation d’une société étrangère à une société française consiste à rapprocher une entité constituée à l’étranger d’une forme juridique existant en droit français, afin de déterminer le régime fiscal qui lui est applicable.
Cette démarche repose sur un principe d’équivalence fonctionnelle : il s’agit de comprendre comment la société étrangère est organisée, quelles sont ses règles de fonctionnement et de gouvernance, puis d’identifier la société française présentant les caractéristiques les plus similaires (SARL, SAS, SA, SNC, etc.).
L’objectif est de garantir que les opérations transfrontalières soient traitées de manière cohérente par le fisc français, conformément au principe d’égalité devant l’impôt.
Le juge procède à une analyse combinée du droit étranger applicable et des statuts particuliers de la société concernée.
Les principaux critères d’assimilation incluent :
Cette approche pragmatique permet d’éviter les assimilations mécaniques. Ainsi, deux sociétés étrangères appartenant à la même catégorie juridique dans leur pays d’origine peuvent, en pratique, être assimilées à des formes différentes en France selon la flexibilité de leurs statuts.
La liberté statutaire, c’est-à-dire la marge d’autonomie laissée aux associés pour organiser la société selon leurs besoins, constitue un élément déterminant.
En droit français, la distinction entre SARL et SAS illustre parfaitement cette opposition :
Ainsi, une société étrangère qui adopte des statuts types ou un modèle prédéfini sans aménagement particulier sera plus aisément assimilée à une SARL, tandis qu’une structure dotée de statuts personnalisés, modulables et souples pourra être rapprochée d’une SAS.
Le Conseil d’État, dans l’affaire Joy Events (25 juillet 2025), a réaffirmé ce critère comme pivot de la méthode d’assimilation.
L’assimilation détermine directement le régime d’imposition applicable :
En outre, lorsque la société étrangère est considérée comme passible de l’IS, l’article 115 quinquies du Code général des impôts prévoit que ses bénéfices réalisés en France peuvent être réputés distribués à ses associés non-résidents, entraînant l’application d’une retenue à la source.
À l’inverse, si la société est assimilée à une entité transparente fiscalement, cette retenue ne s’applique pas.
L’assimilation peut avoir des conséquences significatives sur la fiscalité et la gouvernance d’un groupe international. Il est donc essentiel d’anticiper cette qualification dès la phase de structuration.
Les praticiens du droit des affaires doivent :
Une préparation rigoureuse réduit le risque de requalification fiscale et permet d’éviter l’application inappropriée de régimes d’imposition plus contraignants.