September 12, 2025

Le Bouard Avocats

L’obligation de délivrance du bailleur en matière de bail commercial : une obligation continue

Bail commercial et obligation de délivrance : ce qu’il faut retenir sur la jouissance paisible

Avant d’entrer dans le détail, voici les points essentiels à retenir concernant l’obligation de délivrance et la jouissance paisible dans le cadre d’un bail commercial :

  • Le bailleur doit non seulement délivrer les locaux au preneur, mais aussi maintenir cette délivrance tout au long du bail commercial.
  • L’obligation de délivrance est continue : toute réduction de surface ou entrave à l’accès constitue un manquement durable.
  • La garantie de jouissance paisible protège le locataire contre les troubles de droit et de fait imputables au bailleur.
  • Tant que le manquement du bailleur persiste, le locataire peut agir en résiliation ou en indemnisation, sans que la prescription puisse lui être opposée.
  • Pour sécuriser la relation, l’accompagnement d’un avocat en bail commercial est indispensable dès la rédaction et la négociation du contrat.

Un principe réaffirmé par la Cour de cassation

En matière de bail commercial, la question de la durée de l’obligation de délivrance du bailleur est au cœur des litiges. L’article 1719 du Code civil impose au bailleur de délivrer la chose louée et d’en assurer la jouissance paisible pendant la durée du contrat. Pendant longtemps, la doctrine a estimé que l’obligation de délivrance ne s’appliquait qu’au moment de la remise des clés.

Dans un arrêt du 10 juillet 2025 (Cass. 3e civ., n° 23-20.491, publié au Bulletin), la Cour de cassation met fin aux incertitudes : le bailleur reste tenu de son obligation de délivrance pendant toute la durée du bail. Le locataire peut donc agir en résiliation tant que le manquement persiste, sans qu’il soit possible d’opposer la prescription.

Le cadre juridique applicable

La définition du bail et les devoirs du bailleur

  • Article 1709 du Code civil : le bail est un contrat par lequel le bailleur s’engage à faire jouir le locataire de la chose louée contre paiement d’un prix.
  • Article 1719 du Code civil : le bailleur doit :
    • délivrer la chose louée,
    • entretenir la chose,
    • assurer la jouissance paisible.

L’obligation d’entretien et l’obligation de jouissance paisible étaient déjà considérées comme continues. L’arrêt de 2025 ajoute explicitement l’obligation de délivrance à cette logique.

La prescription quinquennale

L’article 2224 du Code civil prévoit une prescription de cinq ans pour les actions personnelles. La Cour précise que le délai ne commence pas à courir tant que le manquement se poursuit. Le preneur n’est donc pas enfermé dans un délai rigide : il peut agir tant que son droit est affecté.

Les faits de l’affaire

Un bail commercial avait été conclu pour une activité forestière. Après la conclusion du bail, le bailleur avait construit un hangar et un parking sur une partie du terrain loué et les avait donnés à bail à un tiers.

Le locataire, amputé d’une partie substantielle de la surface et gêné dans l’accès aux locaux, a demandé la résiliation du bail. La cour d’appel de Colmar avait rejeté sa demande, estimant l’action prescrite.

La Cour de cassation casse cette décision. Elle juge que « la persistance du manquement du bailleur à son obligation de délivrance et de jouissance paisible constitue un fait permettant au locataire d’exercer l’action en résiliation du bail ».

Une confirmation de jurisprudence

Cette solution s’inscrit dans la continuité de décisions antérieures :

  • Cass. 3e civ., 10 sept. 2020, n° 18-21.890,
  • Cass. 3e civ., 30 juin 2021, n° 17-26.348.

L’arrêt de 2025, publié au Bulletin, donne une portée normative renforcée à cette position.

Les enseignements pratiques pour les bailleurs

Le bailleur doit rester vigilant tout au long du bail. Ses obligations ne cessent pas après la remise des lieux :

  • ne pas réduire la surface louée,
  • maintenir un accès normal aux locaux,
  • éviter toute modification matérielle qui altère la consistance,
  • garantir la jouissance paisible (absence de nuisances, obstacles, entraves).

À défaut, il s’expose à une résiliation judiciaire et/ou à une demande d’indemnisation.

Les droits renforcés du locataire

Le locataire bénéficie d’une sécurité accrue. Tant que le trouble persiste, il peut saisir le juge pour demander :

  • la résiliation du bail,
  • des dommages-intérêts pour trouble de jouissance.

Cette protection est d’autant plus importante que les baux commerciaux sont longs et nécessitent des investissements significatifs. Le preneur est assuré que la consistance des locaux et les conditions d’exploitation ne pourront être modifiées unilatéralement par le bailleur.

Impact sur la rédaction des baux commerciaux

L’arrêt du 10 juillet 2025 doit inciter les praticiens à renforcer la rédaction contractuelle :

  • préciser les obligations relatives à la surface et à l’accès,
  • encadrer les travaux que le bailleur peut réaliser,
  • insérer des clauses pénales en cas de manquement,
  • rappeler expressément que la délivrance s’étend sur toute la durée du bail.

L’avocat spécialisé en baux commerciaux a un rôle déterminant dans cette sécurisation, tant en conseil qu’en contentieux.

Une portée économique et stratégique

Cette solution dépasse la technique juridique. Le bail commercial est l’ossature de l’activité d’un commerçant ou d’un industriel. En réduire l’assiette, entraver l’accès ou compromettre la jouissance revient à fragiliser directement l’entreprise locataire.

La Cour de cassation rappelle que le bail est un contrat à exécution successive : le bailleur doit maintenir la prestation convenue pendant toute la durée du bail, garantissant au locataire une stabilité indispensable.

L’arrêt du 10 juillet 2025 confirme que l’obligation de délivrance est une obligation continue. Elle s’ajoute à l’obligation de jouissance paisible pour renforcer la protection du locataire. Le bailleur doit donc veiller constamment à respecter ses engagements, sous peine de voir sa responsabilité engagée.

Dans un contexte où la sécurité contractuelle et la stabilité économique sont essentielles, l’accompagnement d’un avocat en droit des baux commerciaux reste indispensable.