June 30, 2025

Le Bouard Avocats

Clause attributive de juridiction : est-elle valable si les CGV sont inaccessibles ?

Clause attributive de juridiction dans les CGV : est-elle valable si l’acheteur ne peut en prendre connaissance avant la signature du contrat ?

L’arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 2025 apporte une clarification essentielle pour les entreprises qui insèrent des clauses attributives de juridiction dans leurs conditions générales de vente (CGV). Voici ce qu’il faut retenir :

  • Une clause insérée dans des CGV non accessibles est inopposable
    Si l’acheteur n’a pas eu la possibilité de consulter, sauvegarder ou imprimer les CGV avant la signature du contrat, la clause de juridiction qu’elles contiennent est réputée non valable.
  • Le renvoi aux CGV ne suffit pas à lui seul
    Même si le contrat mentionne expressément les CGV, cela ne suffit pas : l’entreprise doit prouver que ces CGV ont été effectivement communiquées au client avant la conclusion du contrat.
  • La charge de la preuve repose sur l’entreprise qui invoque la clause
    C’est au vendeur de démontrer que l’acheteur a eu un accès effectif et raisonnable à la clause, par exemple via un lien hypertexte fonctionnel ou une transmission écrite.
  • La validité de la clause s’apprécie à la lumière du règlement Bruxelles I bis
    Conformément à l’article 25 du règlement (UE) n° 1215/2012, une clause attributive de juridiction n’est valable que si elle a été acceptée de manière libre, éclairée et dans une forme permettant sa conservation durable.

Comprendre les conditions de validité d’une clause attributive de juridiction insérée dans des conditions générales de vente

Dans un environnement contractuel de plus en plus dématérialisé, les clauses attributives de juridiction constituent un outil stratégique pour les entreprises, leur permettant d’anticiper le tribunal compétent en cas de litige. Toutefois, encore faut-il que ces clauses soient juridiquement opposables. Une récente décision de la Cour de cassation du 7 mai 2025 (Cass. 1re civ., 7 mai 2025, n° 23-22.972) vient précisément rappeler que la simple mention de la clause dans les CGV ne suffit pas si l’autre partie n’a pas eu la possibilité de les consulter avant la formation du contrat.

Cet arrêt, rendu en application du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (« Bruxelles I bis »), concerne directement les pratiques commerciales interentreprises, et appelle à une vigilance accrue dans la structuration contractuelle. En cas de doute ou de litige lié à un contrat commercial, il est conseillé de faire appel à un avocat en droit commercial sur Versailles.

Les principes applicables en matière de clause attributive de juridiction

Une faculté contractuelle encadrée par le droit européen

Le règlement Bruxelles I bis, applicable en matière civile et commerciale entre entreprises de l’Union européenne, permet aux parties de choisir par avance la juridiction compétente pour connaître d’un litige né ou à naître, sans considération du lieu de domicile des parties (art. 25 §1).

Pour être valable, la clause attributive de juridiction doit répondre à l’une des trois conditions formelles suivantes :

  • être conclue par écrit ou verbalement avec confirmation écrite,
  • être conforme aux usages établis entre les parties,
  • ou être conforme aux usages du secteur d’activité concerné dans le cadre du commerce international.

La forme écrite inclut, depuis l’évolution des usages numériques, toute transmission électronique qui permet de consigner durablement l’accord, comme le précise l’article 25 §2 du règlement.

L’exigence d’une acceptation éclairée et préalable

La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) puis celle de la Cour de cassation française ont précisé que, lorsqu’une clause attributive de juridiction est insérée dans les conditions générales de vente, sa validité suppose que l’autre partie :

  • ait été mise en mesure d’en prendre connaissance,
  • ait pu les sauvegarder ou les imprimer,
  • et que le contrat principal renvoie expressément à ces conditions générales.

Ainsi, une clause insérée dans des CGV invisibles ou inaccessibles au moment de la conclusion du contrat est réputée inopposable.

L’arrêt du 7 mai 2025 : l’inaccessibilité des CGV rend la clause inapplicable

Les faits ayant conduit au litige

Deux sociétés concluent un contrat de vente d’un véhicule industriel. Le bon de commande signé par l’acheteur renvoie expressément aux CGV du vendeur, lesquelles contiennent une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux allemands. L’acheteur saisit ultérieurement la juridiction française, invoquant un défaut de conformité du bien livré. Le vendeur soulève une exception d’incompétence, fondée sur la clause attributive de juridiction.

La position de la Cour de cassation

La première chambre civile confirme l’analyse de la cour d’appel, en rejetant l’application de la clause attributive de juridiction. Elle considère que :

  • le contrat mentionnait bien l’existence des CGV,
  • mais aucune preuve n’a été apportée démontrant que l’acheteur avait pu consulter, sauvegarder ou imprimer lesdites CGV avant de signer le contrat.

Même si le paraphe du dirigeant acheteur apparaissait à proximité du renvoi aux CGV rédigées en langue allemande, cela ne suffit pas à établir une acceptation éclairée et effective de la clause, dans la mesure où aucune communication effective des CGV n’était prouvée.

Une exigence renforcée de preuve

Cet arrêt rappelle avec force que l’exigence probatoire pèse sur celui qui invoque la clause, c’est-à-dire, en pratique, sur le vendeur professionnel. La mention de la clause dans une langue étrangère non traduite, ou un simple renvoi à un document non communiqué, ne saurait suffire.

Impacts pratiques pour les entreprises : sécuriser vos CGV et vos clauses attributives

Ce que risquent les entreprises qui négligent l’accessibilité des CGV

Une clause attributive de juridiction mal formalisée peut être déclarée inapplicable. Cela peut avoir des conséquences lourdes :

  • perte du bénéfice de la juridiction choisie (souvent le siège social du vendeur),
  • procédure engagée devant un tribunal non maîtrisé,
  • impossibilité de se prévaloir d’une loi étrangère pourtant prévue,
  • risque de rejet de l’exception d’incompétence, avec un impact sur la stratégie contentieuse.

En matière de vente internationale, cette insécurité peut fragiliser la position juridique du fournisseur en cas de litige, notamment dans des procédures rapides comme le référé ou l’injonction de payer.

Les bonnes pratiques à adopter

Pour sécuriser la clause attributive de juridiction et rendre les CGV pleinement opposables, il est indispensable de :

  • insérer un renvoi express et visible aux CGV dans le contrat ou la commande,
  • joindre physiquement ou transmettre par voie électronique les CGV avant la conclusion du contrat,
  • utiliser un lien hypertexte actif menant vers les CGV en cas de signature numérique, avec possibilité pour l’acheteur de les télécharger et de les conserver,
  • demander une acceptation formelle (ex. : case à cocher ou signature distincte),
  • s’assurer que les CGV sont dans une langue compréhensible par le cocontractant.

Ces précautions permettent non seulement de valider la clause au regard du règlement Bruxelles I bis, mais aussi de prévenir tout litige sur leur opposabilité.

À retenir : le formalisme comme condition d’efficacité contractuelle

  • Une clause attributive de juridiction insérée dans des CGV n’est valable que si ces CGV ont été communiquées à l’acheteur avant la signature du contrat.
  • Il ne suffit pas qu’un renvoi soit mentionné : encore faut-il prouver que l’acheteur a pu consulter et enregistrer les CGV.
  • L’entreprise qui souhaite se prévaloir d’une telle clause doit être en mesure d’apporter cette preuve.
  • L’arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 2025 s’inscrit dans une jurisprudence constante et exigeante, qui impose rigueur et traçabilité.

Conclusion

Les chefs d’entreprise doivent veiller à ce que leurs conditions générales soient accessibles, lisibles et communicables au moment de la négociation contractuelle. Une clause attributive de juridiction, aussi stratégique soit-elle, n’a d’effet qu’à la condition d’avoir été acceptée en pleine connaissance de cause. L’exigence européenne d’une acceptation éclairée est désormais solidement ancrée dans le droit positif français. Il appartient aux entreprises de s’y conformer pour éviter de lourdes déconvenues contentieuses.