Le Bouard Avocats
L’arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 2025 apporte une clarification essentielle pour les entreprises qui insèrent des clauses attributives de juridiction dans leurs conditions générales de vente (CGV). Voici ce qu’il faut retenir :
Dans un environnement contractuel de plus en plus dématérialisé, les clauses attributives de juridiction constituent un outil stratégique pour les entreprises, leur permettant d’anticiper le tribunal compétent en cas de litige. Toutefois, encore faut-il que ces clauses soient juridiquement opposables. Une récente décision de la Cour de cassation du 7 mai 2025 (Cass. 1re civ., 7 mai 2025, n° 23-22.972) vient précisément rappeler que la simple mention de la clause dans les CGV ne suffit pas si l’autre partie n’a pas eu la possibilité de les consulter avant la formation du contrat.
Cet arrêt, rendu en application du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (« Bruxelles I bis »), concerne directement les pratiques commerciales interentreprises, et appelle à une vigilance accrue dans la structuration contractuelle. En cas de doute ou de litige lié à un contrat commercial, il est conseillé de faire appel à un avocat en droit commercial sur Versailles.
Le règlement Bruxelles I bis, applicable en matière civile et commerciale entre entreprises de l’Union européenne, permet aux parties de choisir par avance la juridiction compétente pour connaître d’un litige né ou à naître, sans considération du lieu de domicile des parties (art. 25 §1).
Pour être valable, la clause attributive de juridiction doit répondre à l’une des trois conditions formelles suivantes :
La forme écrite inclut, depuis l’évolution des usages numériques, toute transmission électronique qui permet de consigner durablement l’accord, comme le précise l’article 25 §2 du règlement.
La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) puis celle de la Cour de cassation française ont précisé que, lorsqu’une clause attributive de juridiction est insérée dans les conditions générales de vente, sa validité suppose que l’autre partie :
Ainsi, une clause insérée dans des CGV invisibles ou inaccessibles au moment de la conclusion du contrat est réputée inopposable.
Deux sociétés concluent un contrat de vente d’un véhicule industriel. Le bon de commande signé par l’acheteur renvoie expressément aux CGV du vendeur, lesquelles contiennent une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux allemands. L’acheteur saisit ultérieurement la juridiction française, invoquant un défaut de conformité du bien livré. Le vendeur soulève une exception d’incompétence, fondée sur la clause attributive de juridiction.
La première chambre civile confirme l’analyse de la cour d’appel, en rejetant l’application de la clause attributive de juridiction. Elle considère que :
Même si le paraphe du dirigeant acheteur apparaissait à proximité du renvoi aux CGV rédigées en langue allemande, cela ne suffit pas à établir une acceptation éclairée et effective de la clause, dans la mesure où aucune communication effective des CGV n’était prouvée.
Cet arrêt rappelle avec force que l’exigence probatoire pèse sur celui qui invoque la clause, c’est-à-dire, en pratique, sur le vendeur professionnel. La mention de la clause dans une langue étrangère non traduite, ou un simple renvoi à un document non communiqué, ne saurait suffire.
Une clause attributive de juridiction mal formalisée peut être déclarée inapplicable. Cela peut avoir des conséquences lourdes :
En matière de vente internationale, cette insécurité peut fragiliser la position juridique du fournisseur en cas de litige, notamment dans des procédures rapides comme le référé ou l’injonction de payer.
Pour sécuriser la clause attributive de juridiction et rendre les CGV pleinement opposables, il est indispensable de :
Ces précautions permettent non seulement de valider la clause au regard du règlement Bruxelles I bis, mais aussi de prévenir tout litige sur leur opposabilité.
Conclusion
Les chefs d’entreprise doivent veiller à ce que leurs conditions générales soient accessibles, lisibles et communicables au moment de la négociation contractuelle. Une clause attributive de juridiction, aussi stratégique soit-elle, n’a d’effet qu’à la condition d’avoir été acceptée en pleine connaissance de cause. L’exigence européenne d’une acceptation éclairée est désormais solidement ancrée dans le droit positif français. Il appartient aux entreprises de s’y conformer pour éviter de lourdes déconvenues contentieuses.