Le Bouard Avocats
La pratique des contrats d’achat exclusif de boissons, dits contrats de bière ou contrats de brasseur, demeure fréquente dans les relations entre exploitants de cafés-restaurants et fournisseurs. Si leur validité est de principe, elle peut être remise en cause lorsqu’une partie s’engage sans recevoir de contrepartie suffisante. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Bourges le 28 février 2025 (n° 24/00592) illustre les critères d’appréciation de la contrepartie dans ce type de contrat, au regard de l’article 1169 du code civil et du droit de l’Union européenne.
Il est courant que les contrats de distribution imposent une exclusivité d’approvisionnement, en particulier dans le secteur des boissons. Ce mécanisme permet au fournisseur d’assurer un volume minimal de ventes, en contrepartie d’un soutien financier ou logistique.
Dans l’affaire commentée, l’exploitant d’un fonds de commerce de café-restaurant avait conclu en 2017 un contrat de six ans avec la société CHR Boissons. Ce contrat prévoyait une exclusivité d’achat sur une large gamme de produits (bières, vins, sodas, jus, spiritueux, etc.) ainsi qu’un engagement quantitatif annuel de 55 000 litres de bière en fût et 38 000 € pour les autres boissons.
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En contrepartie, le fournisseur s’était engagé à :
L’article 1169 du code civil dispose qu’« un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ». Cette notion prolonge la jurisprudence antérieure sur l’absence de cause.
L’appréciation du caractère sérieux de la contrepartie relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. com. 8 févr. 2005, n° 03-10.749). Ainsi, un simple prêt garanti sans risque réel ou une caution non mobilisée peuvent être jugés insuffisants.
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Dans l’arrêt commenté, la cour d’appel a rejeté l’argument du caractère dérisoire, soulignant :
La cour a également noté que l’exploitant n’apportait aucun élément chiffré sur son chiffre d’affaires à la date de signature, ce qui l’empêchait de démontrer le caractère inadapté du prêt ou des conditions financières.
L’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prohibe les accords entre entreprises ayant pour objet ou effet de restreindre la concurrence.
Le règlement d’exemption n° 330/2010 de la Commission prévoit que les accords d’exclusivité sont licites à condition qu’ils ne dépassent pas cinq ans (art. 5). Au-delà, la présomption d’exemption tombe, sauf justification spécifique.
Le contrat litigieux ayant été conclu pour une durée de six ans, la cour a retenu qu’il entrait dans le champ de l’interdiction de l’article 101 §1 TFUE et ne pouvait bénéficier d’aucune exemption. En conséquence, elle a annulé le contrat comme contraire au droit européen.
Il s’agit là d’un fondement autonome de nullité, distinct de l’article 1169 du code civil, et qui justifie à lui seul la remise des parties dans l’état antérieur.
La cour a constaté que :
En l’absence de clause prévoyant à qui incombait la charge de reprise, la cour a estimé que celle-ci revenait au fournisseur.
S’agissant de la mainlevée d’opposition au paiement du prix de cession du fonds de commerce, la cour s’est déclarée incompétente, rappelant que seule la juridiction des référés pouvait être saisie sur le fondement de l’article L. 141-16 du code de commerce.
L’arrêt commenté apporte des précisions intéressantes sur :