May 20, 2025

Le Bouard Avocats

La reconnaissance du dirigeant de fait en droit des entreprises en difficulté

Une notion encadrée par une exigence jurisprudentielle constante

Le cadre juridique de la direction de fait

En droit des entreprises en difficulté, la question de la désignation d'un dirigeant de fait revêt une importance particulière, notamment dans le cadre de sanctions personnelles comme la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer. L'article L.653-1 du Code de commerce prévoit en effet que ces mesures peuvent viser toute personne ayant, directement ou indirectement, exercé en fait la direction, l'administration ou la gestion de l'entreprise.

Cependant, la jurisprudence exige une preuve rigoureuse de cette direction de fait. Il ne suffit pas d'établir une influence ou une ascendance sur le gérant de droit : encore faut-il démontrer l'accomplissement d'actes positifs de gestion, répétés, décisifs et accomplis en toute indépendance.

Un arrêt de principe rappelé par la Cour de cassation en 2025

Dans un arrêt du 26 mars 2025 (Cass. com., 26 mars 2025, n° 24-11.190), la Cour de cassation censure une cour d'appel ayant prononcé la faillite personnelle d'un directeur commercial, estimant qu'elle n'avait pas suffisamment caractérisé sa qualité de dirigeant de fait.

La cour d'appel s'était fondée sur plusieurs éléments :

  • l'existence d'une enquête pénale pointant l'emprise du directeur commercial sur le gérant de droit,
  • des témoignages de salariés prétendant qu'il prenait toutes les décisions,
  • et une relation familiale (le gérant de droit était le neveu du directeur commercial).

Pour la Cour de cassation, ces éléments ne sauraient suffire. Elle rappelle que seuls des actes de gestion concrets, réalisés en toute indépendance et en dehors du champ des fonctions officiellement exercées, permettent de qualifier une direction de fait.

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Qu'est-ce qu'un dirigeant de fait ? Une définition restrictive

Une direction effective, autonome et régulière

Le dirigeant de fait est celui qui exerce, de manière continue et effective, une fonction de direction sans en avoir la qualité officielle. Il s'immisce dans la gestion de la société, prend des décisions essentielles, engage l'entreprise ou agit en représentant officieux.

La jurisprudence exige l'accomplissement :

  • d'éléments objectifs,
  • répétés et décisifs,
  • caractérisant une dépossession du gérant de droit.

Ainsi, une simple influence, même forte, ne suffit pas. Il faut une véritable autonomie de gestion, accompagnée d'actes précis : signature de contrats, gestion des comptes, embauche ou licenciement, choix stratégiques.

La preuve repose sur un faisceau d'indices objectifs

Il ne s'agit pas d'une qualification automatique. La preuve du rôle de dirigeant de fait repose sur une analyse circonstanciée. La Cour de cassation rejette les démonstrations basées uniquement sur :

  • des déclarations vagues de salariés,
  • des liens familiaux,
  • ou une "démission morale" du gérant de droit.

Le critère d'immixtion suppose la mise en œuvre de véritables pouvoirs de gestion, et non un simple conseil ou accompagnement.

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Enjeux pratiques de la qualification de dirigeant de fait

Une responsabilité personnelle lourde

La reconnaissance d'une direction de fait n'est pas neutre. Elle expose son auteur :

  • à une faillite personnelle (article L.653-1 du Code de commerce),
  • à une interdiction de gérer,
  • et, dans certains cas, à une extension de procédure collective.

Elle peut aussi entraîner des conséquences en matière de responsabilité civile ou pénale (abus de biens sociaux, escroquerie, etc.).

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Les bonnes pratiques pour les dirigeants délégués ou collaborateurs influents

Les directeurs commerciaux, gérants de transition, consultants et membres de la famille impliqués dans les décisions doivent être vigilants :

  • ne pas intervenir en dehors du cadre de leur fonction déclarée ;
  • laisser les décisions stratégiques à la direction de droit ;
  • documenter les processus de décision ;
  • éviter toute confusion dans les signatures ou communications officielles.

Un rappel strict des exigences de preuve

L'arrêt du 26 mars 2025 illustre une position constante de la Cour de cassation : la qualification de dirigeant de fait ne saurait reposer sur des impressions, des relations personnelles ou des allégations subjectives. Elle doit être fondée sur des actes de gestion objectifs, précis et réitérés.

Cet encadrement est salutaire pour préserver la sécurité juridique des dirigeants, des collaborateurs et des tiers. Il rappelle que l'immixtion dans la gestion d'une société, même à titre informel, peut entraîner de lourdes conséquences juridiques si elle n'est pas maîtrisée ou documentée avec précision.

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