November 5, 2025

Le Bouard Avocats

Comment se forme un contrat lors de la cession de parts sociales d’une SARL ?

Comment se forme un contrat lors d’une cession de parts sociales de SARL : l’essentiel à retenir

La cession de parts sociales dans une société à responsabilité limitée (SARL) obéit à des règles précises de formation du contrat, issues du droit commun des obligations et des dispositions spécifiques au droit des sociétés. Pour les dirigeants et associés, comprendre ces principes est indispensable afin d’éviter qu’une simple offre ne devienne un engagement contraignant. Voici les points essentiels à retenir :

  • Une offre claire et ferme engage son auteur : dès qu’elle mentionne la chose (les parts sociales ou leur pourcentage) et le prix, elle produit des effets juridiques contraignants (art. 1114 et 1583 du Code civil).
  • L’indication d’un pourcentage du capital social suffit : la Cour de cassation (17 septembre 2025, n° 24-10.604) admet qu’une offre exprimée en pourcentage du capital, sans numérotation des parts, est juridiquement valable.
  • Le contrat est formé dès l’accord sur la chose et le prix : l’acceptation pure et simple de l’offre suffit à former le contrat, même avant la signature d’un acte écrit.
  • Le cédant peut être contraint à exécuter la cession : en cas de refus d’exécution après acceptation, le bénéficiaire peut obtenir l’exécution forcée et des dommages et intérêts.
  • La vigilance rédactionnelle est cruciale : chaque offre doit préciser son objet, son prix et, le cas échéant, des conditions suspensives pour éviter toute interprétation engageante non souhaitée.

Ces principes rappellent que la formation du contrat de cession de parts sociales repose sur la rigueur du formalisme juridique autant que sur la clarté de l’intention des parties.

Une réponse récente de la Cour de cassation à connaître

La décision de la Cour de cassation du 17 septembre 2025 (Cass. com., n° 24-10.604) portait sur la validité d’une offre de cession de 17,09 % du capital d’une future ­SARL au prix de 72 000 €. Elle traite un sujet essentiel pour les chefs d’entreprise : la formation du contrat lorsqu’une société est en cours de constitution ou lorsque l’objet de la cession reste partiellement indéterminé.
Autrement dit : peut-on parler d’« offre ferme » lorsque seule la proportion du capital est indiquée, sans numérotation stricte des titres cédés ? La Cour répond par l’affirmative.

1. Le cadre contractuel : obligation d’une offre ferme et précise

Phase contractuelle Éléments nécessaires Effets juridiques Risques pour le cédant Conseil pratique
Offre de cession Chose + prix + volonté d’être lié (C. civ. art. 1114, 1583) Engage dès acceptation par le bénéficiaire Exécution forcée possible, D&I si refus après acceptation Limiter la durée de validité, prévoir des conditions suspensives (agrément, etc.)
Promesse unilatérale Engagement du promettant envers un bénéficiaire identifié Obligation de vendre en cas de levée d’option conforme Sanctions de l’inexécution contractuelle Encadrer la durée, les modalités et délais de levée d’option
Contrat de cession signé Accord définitif + acte écrit + agrément si nécessaire Transfert de propriété et opposabilité après formalités Responsabilité contractuelle en cas de manquement Enregistrer l’acte, mettre à jour registre & notifier la société

1.1 L’offre au sens de l’article 1114 du Code civil

L’article 1114 du Code civil dispose que : « l’offre comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. » Cela distingue l’offre de l’« invitation à entrer en négociation » prévue à l’article 1112. En clair : une proposition qui fixe chose + prix + volonté de s’engager constitue un acte juridique ferme dès son acceptation.

1.2 Le contrat de cession de parts sociales comme contrat de vente

Relevant de la vente, la cession de parts sociales doit satisfaire les exigences de l’article 1583 du Code civil : « La vente est parfaite entre les parties [...] dès qu’il y a accord sur la chose et sur le prix. » Par ailleurs, l’article 1163 dispose que l’objet de l’obligation doit être déterminé ou déterminable. Ici, la chose = les parts sociales ; le prix = la somme fixée.

1.3 Application à la cession de parts sociales d’une SARL

Ainsi, pour qu’il y ait formation de contrat lors de la cession de parts sociales :

  • l’objet doit être clairement défini ou déductible par calcul (ex. pourcentage du capital social) ;
  • le prix doit être fixé ;
  • l’auteur de l’offre doit manifester sa volonté de s’engager si l’autre partie accepte.

Dans l’arrêt du 17 septembre 2025, la Cour constate que l’offre portait sur 17,09 % du capital d’une future société contre 72 000 €, ce qui satisfait les conditions légales, même si la numérotation des parts n’était pas précisée.

2. Le pourcentage du capital social : un critère suffisant d’identification

2.1 La fonction du pourcentage et la déterminabilité de la chose

La solution retenue confirme que l’expression d’un pourcentage du capital social peut constituer une « chose déterminable » au sens de l’article 1163.
Pour un chef d’entreprise ou un investisseur, cela signifie que mentionner « X % du capital social de la société à constituer » suffit à fixer l’objet de l’engagement, à condition que le capital social soit connu ou indiqué dans l’opération.

2.2 L’absence de numérotation des titres : une formalité accessoire

La Cour admet que l’absence de numérotation des parts ou l’impossibilité de les identifier par leur numéro n’empêche pas la validité de l’offre. Tant que la proportion est indiquée et le montant fixé, l’offre est ferme et engageante.

2.3 En pratique pour l’entreprise

  • Un term-sheet ou un mail mentionnant « cession de 20 % du capital de la future SARL X pour un prix de 100 000 € » peut constituer une offre au sens de l’article 1114.
  • L’entreprise doit vérifier que le capital social indiqué ou envisagé soit suffisamment clair pour que la déterminabilité soit établie.
  • Pour le vendeur, engager une offre sous cette forme comporte le risque d’une exécution forcée si le bénéficiaire accepte.

3. Les risques pour le chef d’entreprise en cas de non-exécution

Le formalisme légal et les obligations attachées à la cession de parts sociales

Outre la formation du contrat au sens civil, la cession de parts sociales dans une SARL obéit à un formalisme spécifique prévu par le Code de commerce et le Code général des impôts. Ces obligations, souvent perçues comme accessoires, conditionnent pourtant la validité et l’opposabilité de la cession.

Étape Fondement juridique Obligation Conséquence en cas de manquement
Information / agrément des associés C. com., art. L.223-14 Notification au gérant et mise en œuvre de la procédure d’agrément Nullité ou inopposabilité de la cession sans agrément
Rédaction de l’acte de cession C. civ., art. 1583 (chose/prix) Acte écrit précisant prix, parts cédées, modalités Preuve incertaine, contentieux de validité
Enregistrement fiscal CGI, art. 635 Dépôt au SIE dans le mois, paiement des droits Amende/majorations, difficulté de dater l’acte
Mise à jour du registre des mouvements / des parts Pratique SARL + pièces internes Inscription du transfert et tenue du registre des associés Inopposabilité interne, risques de contestations
Opposabilité à la société et aux tiers C. com., art. L.223-14 (notification/acceptation) Notification/acceptation par la société, conservation de l’acte au siège Inopposabilité aux tiers, incertitude sur la qualité d’associé
Publicité et dossiers sociaux C. com., R.123-105 (si statuts modifiés) Dépôt au greffe si modification statutaire (ex. clauses, capital) Publicité incomplète, risque de contestation

3.1 L’acceptation et la formation automatique du contrat

Une fois l’offre acceptée, selon les principes cités, le contrat est formé sans qu’il soit nécessaire de rédiger un avenant ou un autre document. Il peut être exécuté. Cette création automatique de l’engagement expose le vendeur à l’ordonnance d’exécution forcée.

3.2 Le circuit contentieux

Dans l’affaire traitée :

  • Le bénéficiaire a mis en demeure les auteurs puis les a assignés pour voir « dire parfaite la cession ».
  • La Cour d’appel a ordonné la cession et condamné à indemnité.
  • La Cour de cassation a rejeté le pourvoi, confirmant la force obligatoire de l’offre.

3.3 Les enseignements pour l’entreprise

  • Lorsqu’un chef d’entreprise formule une offre de cession de parts, il doit être prêt à exécuter l’engagement ou prévoir des conditions suspensives très claires.
  • Même dans les opérations de structuration pré-constitutionnelles (société à créer), une mention de pourcentage + prix peut suffire à créer un engagement.
  • Pour limiter le risque, il est recommandé d’ajouter des termes comme « sous réserve de constitution de la société » ou « conditionnée à approbation des actionnaires/directeurs ».

4. Bonnes pratiques de rédaction d’une offre de cession de parts sociales

Pour sécuriser un projet de cession, il est conseillé de respecter les points suivants :

  • Préciser clairement :
    • le montant du capital social visé ou envisagé ;
    • la proportion du capital social à céder (ex. 25 %) ;
    • le prix global ou unitaire.
  • Si la société n’existe pas encore : indiquer que l’opération est liée à la création ou à la constitution, mais ne pas en faire une simple option.
  • Mentionner : « offre ferme valable jusqu’au [date] » afin de limiter la durée d’engagement.
  • Établir les conditions suspensives (ex. obtention d’agrément, approbation des comptes, absence de changement de contrôle).
  • Conserver toutes les correspondances (e-mails, échanges) afin de pouvoir démontrer l’acceptation et la volonté de lien contractuel.
  • Dans les statuts de la société créée : prévoir l’émission des parts, leur numérotation, la tenue du registre des mouvements de titres.

5. L’impératif de vigilance pour le chef d’entreprise

La cession de parts sociales en SARL est une opération courante dans les restructurations, levées de fonds ou cessions d’entreprise. L’arrêt du 17 septembre 2025 rappelle que le formalisme n’est pas strictement figé : l’indication d’un pourcentage suffit à caractériser une offre engageante.
Pour le dirigeant ou l’investisseur :

  • ne jamais sous-estimer la force d’une offre écrite, même sommaire ;
  • sécuriser juridiquement l’objet et le prix ;
  • prévoir les conditions et modalités d’exécution.

En cas de doute, il est recommandé de recourir à un avocat en droit des affaires pour vérifier la rédaction de l’offre, prévoir son acceptation, gérer les conditions suspensives et anticiper le mécanisme d’exécution. Cette démarche permet de transformer une intention en engagement sécurisé et d’éviter que l’offre ne devienne un contentieux coûteux.

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FAQ – Formation du contrat lors de la cession de parts sociales d’une SARL

Une offre de cession de parts sociales doit-elle mentionner le nombre exact de parts ?

Non. La Cour de cassation, dans un arrêt du 17 septembre 2025 (n° 24-10.604), a précisé qu’une offre exprimée en pourcentage du capital social suffit à constituer une offre valable au sens de l’article 1114 du Code civil.
L’identification précise des parts par leur numérotation n’est pas exigée, dès lors que deux éléments essentiels sont réunis :

  • la chose vendue, déterminée ou déterminable (le pourcentage du capital) ;
  • et le prix convenu.
    Une proposition claire précisant par exemple « 17 % du capital social pour 72 000 € » engage donc le cédant dès acceptation par le bénéficiaire, même si les parts n’ont pas encore été individualisées.

À quel moment le contrat de cession de parts sociales est-il formé ?

En application de l’article 1583 du Code civil, la vente est parfaite dès accord sur la chose et le prix. Ainsi, le contrat de cession de parts sociales est formé au moment où l’offre est acceptée sans réserve.
L’acte de cession notarié ou sous seing privé n’est qu’une formalisation de cet accord : il permet de rendre la cession opposable à la société et aux tiers, notamment par :

  • l’enregistrement fiscal prévu à l’article 635 du Code général des impôts ;
  • la mise à jour du registre des mouvements de titres.
    Autrement dit, la signature n’est pas constitutive du contrat : l’accord de volontés l’est.

Quels risques encourt un cédant qui se rétracte après acceptation de son offre ?

Une fois acceptée, l’offre devient contraignante. Le cédant qui refuse de s’exécuter s’expose à :

  • une exécution forcée en nature ordonnée par le juge ;
  • des dommages et intérêts pour rupture fautive (article 1103 du Code civil : « les conventions tiennent lieu de loi »).
    Dans l’affaire jugée en 2025, les auteurs de l’offre ont été condamnés à céder les 17,09 % du capital promis et à indemniser le préjudice moral du bénéficiaire.
    Les chefs d’entreprise doivent donc rédiger leurs offres avec rigueur, en évitant toute ambiguïté sur leur portée juridique.

Comment sécuriser la rédaction d’une offre de cession de parts sociales ?

Pour limiter les risques de contentieux, il est essentiel de :

  • Préciser le pourcentage de capital social et le prix global ou unitaire ;
  • Définir une durée de validité de l’offre afin d’en limiter les effets dans le temps ;
  • Prévoir des conditions suspensives : agrément du gérant, approbation des associés, ou constitution effective de la société ;
  • Mentionner explicitement le caractère prévisionnel de l’offre si elle dépend d’un événement futur (ex. : levée de fonds, audit, approbation des comptes) ;
  • Se faire accompagner par un avocat en droit des affaires, garant de la conformité des termes à la pratique et à la jurisprudence.
    Une offre bien rédigée doit permettre la sécurité juridique sans bloquer les négociations commerciales.

Une offre de cession peut-elle porter sur une société non encore créée ?

Oui. L’arrêt du 17 septembre 2025 confirme qu’une offre peut viser un pourcentage du capital d’une société en formation, dès lors que la future structure et son capital social sont déterminables.
L’article 1163 du Code civil admet en effet qu’une prestation soit déterminable par référence au contrat, sans qu’un nouvel accord soit requis.
En pratique, il convient toutefois de prévoir :

  • une clause conditionnelle subordonnant la cession à la création effective de la société ;
  • la détermination du capital social dès la phase de constitution ;
  • et la signature d’un acte de cession post-immatriculation pour sécuriser la transmission.
    Ce mécanisme permet d’anticiper la structuration du capital tout en respectant la logique du droit des obligations.