Le Bouard Avocats
Dans un arrêt du 4 juin 2025, la Cour de cassation a rejeté l’action en parasitisme intentée par un fabricant de champagne contre un producteur de crémant. L’affaire illustre les limites de la protection contre le parasitisme économique, qui ne peut sanctionner l’usage de codes visuels banals ou déjà répandus dans un secteur donné.
À retenir :
En matière de concurrence, le parasitisme économique occupe une place singulière. Il se caractérise par le comportement d’un acteur qui choisit de se placer dans le sillage d’un autre afin de profiter, à moindre coût, de ses efforts, de son savoir-faire ou de la notoriété acquise. Ce mécanisme est sanctionné sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, qui érige la faute civile comme principe de responsabilité.
À la différence de la contrefaçon, le parasitisme n’exige pas la violation d’un droit privatif. La faute réside dans l’appropriation injustifiée d’une valeur économique individualisée, fruit d’investissements souvent lourds. Le juge doit donc rechercher deux conditions cumulatives :
En 2015, la société Moët Hennessy champagnes et services (MHCS), connue pour exploiter notamment la maison Veuve Clicquot, lance sa gamme Rich, puis en 2016 sa déclinaison Rich Rosé. Ces champagnes se distinguent par une présentation particulière : bouteilles recouvertes d’un manchon argenté brillant, destinées à séduire une clientèle plus jeune en mettant en avant la consommation du champagne en cocktail, accompagné de glaçons et de fruits.
En 2016, la société coopérative Wolfberger, productrice de crémants d’Alsace, adopte elle aussi un habillage métallique pour ses bouteilles de crémant. Dans ses campagnes, elle met en scène des visuels associant les bouteilles à des verres emplis de glaçons et de tranches de fruits.
MHCS estime alors que Wolfberger s’est inspirée de ses codes visuels et marketing et l’assigne pour parasitisme économique.
La cour d’appel de Paris (8 novembre 2023) rejette l’action. Elle observe que :
La cour conclut que MHCS ne pouvait revendiquer une exclusivité sur ces codes et relève, en outre, que son champagne Rich n’avait pas acquis une notoriété suffisamment forte au moment où Wolfberger avait modifié la présentation de ses crémants.
Par un arrêt du 4 juin 2025 (n° 24-11.507), la Cour de cassation confirme ce raisonnement. Elle rappelle que le parasitisme implique la volonté d’exploiter indûment les efforts d’autrui. En l’espèce, Wolfberger n’a fait que s’aligner sur les tendances du marché des vins pétillants destinés aux cocktails, sans chercher à reproduire spécifiquement les choix de MHCS.
La Cour insiste sur l’importance de l’impression d’ensemble : les bouteilles ne produisaient pas la même perception visuelle, et les codes utilisés appartenaient à l’univers commun du secteur.
Le droit interdit de privatiser ce qui appartient à l’usage commun. Les juges soulignent que l’emploi de manchons argentés n’avait rien d’original en 2015. De même, l’association d’une bouteille et d’un verre à cocktail est jugée descriptive et non distinctive. Ces éléments ne constituent donc pas une valeur économique individualisée.
Pour fonder une action en parasitisme, l’entreprise doit établir que ses investissements ont permis de créer un actif reconnu et identifié sur le marché. Or, MHCS n’apportait pas la preuve que sa gamme Rich, lancée en 2015, avait acquis une notoriété particulière lorsqu’en 2016 Wolfberger fit évoluer ses bouteilles.
Les juges retiennent enfin que l’habillage choisi par Wolfberger répondait aux codes du marché émergent des vins « cocktails ». Autrement dit, l’entreprise ne s’est pas inscrite dans le sillage de MHCS mais dans un mouvement plus général, partagé par plusieurs opérateurs.
Cet arrêt illustre plusieurs principes fondamentaux :
Les entreprises qui investissent dans l’innovation marketing ou dans le packaging doivent anticiper les limites de l’action en parasitisme. Plusieurs outils peuvent être mobilisés :
L’arrêt du 4 juin 2025 rappelle aux entreprises que la protection contre le parasitisme demeure strictement encadrée. Le juge veille à éviter que des opérateurs ne revendiquent indûment l’appropriation de codes sectoriels partagés.
Pour les producteurs de vins pétillants – et plus largement pour tout secteur soumis à des effets de mode – la leçon est claire : seules des démarches innovantes, juridiquement protégées et commercialement reconnues peuvent fonder une action efficace.
L’action intentée par Moët Hennessy contre Wolfberger illustre la difficulté de protéger des choix marketing lorsque ceux-ci relèvent de codes communs. En rejetant le pourvoi, la Cour de cassation confirme que le parasitisme n’est pas un instrument de protection absolue, mais un garde-fou contre les comportements véritablement opportunistes.
Ainsi, les entreprises doivent combiner deux stratégies : sécuriser leurs actifs distinctifs par la propriété intellectuelle et construire une notoriété suffisamment forte pour rendre toute imitation immédiatement identifiable. C’est à cette double condition que le parasitisme pourra être invoqué utilement devant les tribunaux.