Prêts intragroupe : contrôle conjoint et actionnaires minoritaires
Comprendre les prêts intragroupe sous contrôle conjoint
Le contrôle effectif peut être partagé : lorsque plusieurs actionnaires agissent de concert, chacun détient un pouvoir de décision indispensable ; ils sont donc tous réputés contrôler la filiale au sens de l’article L 233-3 du Code de commerce.
L’exemption au monopole bancaire s’applique : au titre de l’article L 511-7 I-3 du Code monétaire et financier, toute société partie au contrôle conjoint peut accorder ou recevoir un prêt intragroupe, même si sa participation est minoritaire.
Lien capitalistique obligatoire : la dérogation suppose un pourcentage de droits de vote suffisant pour exercer, seul ou non, une influence déterminante ; un simple droit de veto, isolé, ne suffit pas.
Conventions réglementées et documentation : chaque prêt doit être approuvé selon les règles des conventions courantes ou réglementées, documenté à la juste valeur de marché et intégré au suivi des flux de trésorerie intragroupe.
Comprendre le contrôle effectif au sens du Code monétaire et financier
Un régime dérogatoire strict
L’article L 511-1 du Code monétaire et financier consacre le monopole des établissements de crédit pour les opérations de prêt. Toutefois, le 3° du I de l’article L 511-7 ménage une exception : une société peut consentir ou recevoir des avances de trésorerie de la part d’autres entités « ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital lui conférant un contrôle effectif ». Cette dérogation, centrale pour la gestion de cash-pooling, impose de qualifier avec précision la notion de contrôle.
Contrôle majoritaire, contrôle de fait, contrôle conjoint
Le Code de commerce (art. L 233-3, I et II) reconnaît déjà le contrôle majoritaire — détention de plus de 50 % des droits de vote — et le contrôle de fait, lorsque les décisions en assemblée sont déterminées « de facto ». Le III du même article introduit le contrôle conjoint : plusieurs actionnaires agissant « de concert » détiennent ensemble le pouvoir de décision. Contrairement aux schémas classiques, aucun ne détient seul la majorité ; chacun possède un pouvoir de veto dans un pacte syndiquant leurs votes.
Incidence pour les prêts intragroupe
La question était jusque-là ouverte : ce contrôle conjoint, souvent exercé par des minoritaires, suffit-il à remplir l’exigence de « contrôle effectif » de l’article L 511-7 ? La communication de l’Ansa (comité juridique n° 25-015 du 2 avril 2025) apporte une réponse affirmative, s’appuyant sur :
la finalité économique du dispositif : permettre la circulation de trésorerie dans des groupes réels, même dépourvus d’un actionnaire unique ;
la jurisprudence administrative (CE 20 octobre 2004, n° 260898) et civile (Cass. com. 29 juin 2010, n° 09-16.112) qui admettent le contrôle conjoint malgré la prépondérance éventuelle d’un co-contrôleur.
Pourquoi un minoritaire peut-il être considéré comme « contrôlant » ?
Primauté des droits de vote sur la part de capital
Le critère décisif n’est pas le pourcentage détenu au capital, mais le pouvoir de faire ou d’empêcher.
Une enveloppe de 35 % de droits de vote assortie de conventions de vote multiples peut conférer un pouvoir de décision supérieur à un actionnaire majoritaire dépourvu de droits financiers.
À l’inverse, une position nominalement majoritaire mais dépourvue de droits de vote ne constitue pas un contrôle effectif.
Dans sa doctrine, l’Ansa rappelle qu’un seuil de 40 % des droits de vote fait présumer, sauf preuve contraire, l’existence d’un contrôle effectif — présomption déjà dégagée par la cour d’appel de Paris (12 juin 1996).
Articulation pacte d’actionnaires / convention de trésorerie
Lorsque plusieurs minoritaires signent un pacte créant un organe décisionnel par unanimité ou majorité qualifiée, ils se constituent « maîtres collectifs » de la filiale. Toute convention de trésorerie intragroupe doit :
être autorisée par le conseil d’administration de chaque partie ;
figurer dans un acte interne décrivant la méthode de calcul des intérêts, la périodicité des flux et les limites d’encours ;
être portée à la connaissance des commissaires aux comptes, en application de l’article L 823-11 du Code de commerce (procédure des conventions réglementées, selon les cas).
Illustrations pratiques pour le dirigeant
Exemples de configuration admissibles
Structure
Liens capitalistiques
Pacte d’actionnaires
Admissibilité du prêt ?
A (45 %), B (35 %), C (20 %) contrôlent D
A et B disposent d’un droit de veto croisé
Décisions stratégiques à unanimité
Oui : contrôle conjoint d’A et B, prêt possible entre A et D ou B et D
A (60 %), B (40 %) contrôlent E
Pas de pacte, majorité simple
A décide seul
Non pour B : absence de contrôle effectif
A (30 %), B (30 %), C (40 %) contrôlent F
Comité stratégique à majorité qualifiée de 66 %
Décisions impossibles sans C
Oui : A, B et C participent au contrôle conjoint, prêts croisés autorisés
Avantages opérationnels
Optimisation de la trésorerie : réduction du recours au crédit bancaire, centralisation du cash.
Taux intragroupe maîtrisé : le groupe fixe librement une grille, sous réserve du taux maximum de l’article L 313-3 CMF pour éviter l’usure.
Souplesse contractuelle : possibilité de mettre en place une convention-cadre annuelle ajustable chaque fin de trimestre.
Points de vigilance et bonnes pratiques
Respect de la règlementation bancaire
Bien que dérogatoires, les prêts intragroupe demeurent soumis aux grands principes :
inscription en comptabilité conforme aux articles L 123-12 et suivants du Code de commerce ;
documentation écrite, datée, conservée cinq ans ;
maintien d’un équilibre financier, faute de quoi l’opération pourrait être requalifiée en abus de biens sociaux (art. L 241-3 C. com. pour la SARL ou L 242-6 pour la SA).
Compatibilité fiscale
Prix de transfert : l’article 57 du CGI exige des taux de marché. L’administration fiscale tolère le recours à la méthode « cost + margin » ou au taux moyen des obligations des sociétés privées (TMOP) ajusté selon la notation interne du groupe.
Intérêts servis : déductibilité limitée par le dispositif anti-BEPS (art. 212 bis CGI) si l’EBITDA consolidé est insuffisant.
Gouvernance
Un conseil d’administration informé réduit les risques :
inclusion de la convention de trésorerie à l’ordre du jour et procès-verbal détaillé ;
rappel des conditions de résiliation anticipée en cas de changement de contrôle.
Intérêt et sécurité d’un instrument parfois méconnu
En admettant qu’un contrôle effectif puisse être conjoint, l’Ansa ouvre la voie à une gestion financière plus agile dans les groupes à actionnariat éclaté. Pour le chef d’entreprise, trois recommandations s’imposent :
Cartographier la chaîne de contrôle : droits de vote, pactes, prérogatives particulières.
Documenter la convention de trésorerie : taux, limites, modalités de remboursement, garanties le cas échéant.
Impliquer les organes de gouvernance et le commissaire aux comptes : l’information préalable constitue la meilleure prévention des litiges ultérieurs.
Mis en œuvre avec rigueur, le prêt intragroupe sous contrôle conjoint devient un levier précieux : il fluidifie la trésorerie, réduit le coût de la dette et renforce la solidarité économique entre sociétés sœurs — sans sacrifier la sécurité juridique ni fiscale.