June 20, 2025

Le Bouard Avocats

Cession d’établissement et transfert de bail commercial

Transfert de bail commercial : constitue-t-il vraiment une cession d’établissement ?

  • Locaux nus + bail ≠ cession d’établissement
    Sans transfert simultané des équipements indispensables à l’exploitation, la vente d’un immeuble assortie du bail ne suffit pas à déclencher l’article 1518 B CGI.
  • Conséquence fiscale concrète
    En l’absence de cession d’établissement, la valeur locative peut être réévaluée librement ; les plafonds protecteurs (⅔ ou ⅘) ne s’appliquent pas.
  • Critère central : autonomie de l’activité
    Seule la cession conjointe des éléments immobiliers et mobiliers permettant une exploitation autonome qualifie l’opération de cession d’établissement.
  • Prudence rédactionnelle
    Acte de vente et data-room doivent détailler les actifs mobilier/immobilier cédés pour éviter une requalification fiscale et sécuriser la charge future de taxe foncière.

Rappel du régime fiscal applicable à la cession d’établissement

Définition de l’établissement au sens du code général des impôts

L’article 310 HA de l’annexe II au code général des impôts définit l’« établissement » comme toute installation utilisée par une entreprise en un lieu déterminé ou toute unité de production intégrée dans un ensemble industriel ou commercial lorsqu’elle peut faire l’objet d’une exploitation autonome [[CGI, ann. II, art. 310 HA]].
Cette autonomie suppose :

  • la réunion d’éléments immobiliers et mobiliers ;
  • la capacité de poursuivre l’activité sans apport externe immédiat ;
  • l’identité d’exploitation (même objet social, même clientèle).

Conditions cumulatives de la cession d’établissement

Pour l’application de l’article 1518 B CGI – qui protège la valeur locative des immobilisations corporelles après certains transferts – la cession est caractérisée lorsque [[CGI, art. 1518 B]] :

  1. l’ensemble des éléments immobiliers et mobiliers nécessaires à l’exploitation est transmis à un même cessionnaire ;
  2. l’activité est poursuivie dans des conditions analogues grâce auxdits éléments.

À défaut de ces deux conditions, il n’y a pas cession d’établissement, et le plafond de valeur locative prévu par le texte ne s’applique pas. Si vous rencontrez des difficultés avec un bail commercial, prennez rendez-vous avec un avocat pour baux commerciaux à Versailles.

A lire : quelles sont les différences entre fonds de commerce et bail commercial ?

Analyse de l’arrêt Conseil d’État 7 mai 2025, n° 488170

Les faits : vente d’immeuble nu et transfert du bail

La société Saint-Jacques avait acquis, le 22 décembre 2017, un ensemble immobilier industriel situé à Hérouville-Saint-Clair. Simultanément, le bail commercial afférent aux locaux, conclu avec un tiers preneur, avait été transféré à l’acquéreur. Les équipements de production, en revanche, demeuraient la propriété du locataire ; l’acte stipulait que les locaux seraient « garnis par le preneur ».

La position du tribunal administratif et le pourvoi

Le tribunal administratif de Caen, retenant l’existence d’une cession d’établissement, avait appliqué le mécanisme anti-dévalorisation de l’article 1518 B CGI pour fixer la valeur locative et, partant, la taxe foncière. La société requérante se pourvut en cassation, estimant que la simple cession de bâtiments nus n’emportait pas transfert d’unité économique autonome.

Le raisonnement du Conseil d’État

La haute juridiction censure le jugement :

  • la cession de locaux nus, même accompagnée du transfert du bail et de la poursuite de la même activité, ne suffit pas ;
  • faute de cession concomitante des immobilisations mobilières nécessaires (machines, outillages, stocks), l’exploitation autonome n’est pas caractérisée ;
  • le tribunal a donc commis une erreur de droit en assimilant cette opération à une cession d’établissement au sens de l’article 1518 B.

Le Conseil d’État confirme ainsi, dans le prolongement de ses décisions du 21 décembre 2022, que la notion d’établissement implique l’intégralité des moyens d’exploitation et non le seul support immobilier.

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Portée pratique pour les opérations de cession d’actifs immobiliers

Incidence sur la valeur locative et la taxe foncière

Lorsque l’acquéreur n’obtient que l’immeuble et le contrat de bail, la valeur locative des constructions cédées peut être révisée librement sous réserve du droit commun de la taxe foncière ; le plafond des deux tiers ou des quatre cinquièmes prévu par l’article 1518 B ne s’applique pas. En pratique :

  • la collectivité locale recalcule la valeur locative selon la méthode de comparaison ;
  • l’investisseur peut contester la requalification fiscale si l’administration invoque une cession d’établissement sans transfert de machines.

Recommandations pour les praticiens

  • Audit préalable : inventorier les éléments mobiliers cédés (ou non) et leur utilité pour qualifier l’opération.
  • Rédaction des actes : préciser clairement que l’immeuble est vendu nu, que le bail est transféré sans cession d’équipements, afin d’éviter toute ambiguïté.
  • Analyse fiscale : vérifier les conséquences sur la valeur locative, la TVA et les droits d’enregistrement lorsque les biens mobiliers restent chez le vendeur ou le locataire.
  • Veille jurisprudentielle : surveiller l’évolution des critères d’exploitation autonome, notamment en présence de contrats d’entretien ou de mises à disposition d’équipements.

L’arrêt du 7 mai 2025 confirme une ligne jurisprudentielle désormais solide : aucune cession d’établissement, au sens fiscal strict, ne peut être retenue sans transfert global des moyens d’exploitation. Les praticiens du droit des affaires devront en tenir compte lors de la structuration de leurs acquisitions immobilières : la simple reprise d’un bail commercial ne suffit pas à faire basculer l’opération dans le champ des limitations de valeur locative prévues par l’article 1518 B CGI. Cette précision, loin d’être théorique, conditionne la charge fiscale future de l’investisseur et sécurise la neutralité des flux patrimoniaux entre cédant et cessionnaire.