Synthèse du tournant jurisprudentiel sur les actes préparatoires
- Préparation licite : créer une société, déposer une marque ou prendre des contacts avant la fin du contrat n’enfreint pas la clause, tant qu’aucune vente ni prestation concurrente n’est lancée.
- Début d’exploitation interdit : tout démarchage de clientèle, ouverture de point de vente ou facturation avant l’échéance constitue une violation de l’obligation de non-concurrence et de loyauté.
- Proportionnalité impérative : la clause doit rester limitée dans le temps et l’espace pour ne pas porter atteinte à la liberté d’entreprendre, même en cas de contrats successifs au sein d’un même groupe.
- Sanctions et prévention : manquement avéré → résiliation pour faute, action en concurrence déloyale ou contrefaçon ; rédiger une clause claire et tracer chaque démarche préparatoire pour sécuriser la transition.
Rappel du cadre juridique de la clause de non-concurrence
Force obligatoire du contrat et limites légales
La « clause de non-concurrence », insérée dans la plupart des contrats de franchise, trouve son fondement dans le principe de force obligatoire des conventions posé par l’article 1103 du Code civil : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »
Toutefois, cette liberté contractuelle n’est pas absolue. Les stipulations qui restreignent le droit d’exercer une activité doivent demeurer proportionnées à l’objectif légitime poursuivi : protection du savoir-faire, préservation de l’image de marque, maintien de la cohérence du réseau. La jurisprudence sanctionne les clauses excessives au regard de la liberté d’entreprendre, principe à valeur constitutionnelle, et des règles de libre concurrence (art. L.420-1 C. com.).
Loyauté, bonne foi et intérêt du réseau
Conjuguée à l’article 1104 du Code civil, l’obligation de loyauté irrigue toute la relation de franchise. Le franchisé doit s’abstenir de porter atteinte à l’intégrité du réseau pendant la vie du contrat ; réciproquement, le franchiseur doit fournir une assistance et une information loyales. Cette symétrie explique que la clause de non-concurrence demeure, en droit français, cantonnée à la durée du contrat sauf stipulation post-contractuelle répondant à des critères stricts (objet, durée, territoire, contrepartie financière le cas échéant).
A lire : qu'est que l'exclusivité territoriale en contrat de franchise ?
L’arrêt du 19 mars 2025 : faits et portée
Les faits soumis aux juges
Un dirigeant, engagé depuis plusieurs années dans deux réseaux d’aide à domicile appartenant au même groupe, décide de ne pas renouveler certains contrats de franchise et prépare parallèlement la création d’une société, dépôt de marques à l’appui, destinée à proposer des prestations similaires. Informés de ces démarches, les franchiseurs résilient les derniers contrats en cours pour violation de la clause de non-concurrence.
A lire : Qu'est que le DOL en matière de franchise ?
La solution de la Cour de cassation (Cass. com., 19 mars 2025, n° 23-22.925)
La Haute juridiction casse partiellement l’arrêt d’appel :
« Le franchisé peut, sans violer la clause de non-concurrence stipulée ni les obligations de loyauté et de bonne foi, accomplir des actes préparatoires à une activité concurrente, à condition que celle-ci ne débute effectivement qu’après l’expiration du contrat et de l’engagement de non-concurrence. »
La distinction fondamentale entre préparation et exploitation
Actes admissibles :
- constitution d’une nouvelle société ;
- dépôt d’une marque ou d’un nom de domaine ;
- recherche de financements ou de locaux.
Actes prohibés tant que le contrat produit ses effets :
- démarchage actif de la clientèle du réseau ;
- communication commerciale laissant entendre que la nouvelle offre est déjà disponible ;
- recrutement d’employés détournés du franchiseur.
Autrement dit, préparer n’est pas concurrencer. La ligne rouge se situe au démarrage effectif de l’activité, c’est-à-dire la vente de produits ou services concurrents.
Conséquences pratiques pour les acteurs de la franchise
Anticiper la sortie du réseau : ce qui est permis
- Planifier l’organisation juridique : rédiger statuts, pactes d’associés, business plan.
- Sécuriser les signes distinctifs : réserver marque et logo avant qu’ils ne soient pris par un tiers.
- Établir des contacts fournisseurs : à titre exploratoire, sans commandes fermes.
Ces démarches, qualifiées d’« actes neutres » par la doctrine, sont considérées comme compatibles avec l’obligation de loyauté tant qu’elles restent discrètes et qu’elles ne perturbent pas l’activité du franchiseur.
A lire : qu'est que la distribution exclusive en franchise ?
Ce qui demeure interdit
- Usage du savoir-faire ou des documents confidentiels transmis pendant la franchise (art. L.152-6 C. com.).
- Dénigrement ou parasitisme : profiter de la notoriété du réseau pour capter la clientèle.
- Concurrence effective avant l’échéance : ouverture de locaux, lancement d’un site marchand, diffusion de tarifs.
En cas de manquement, le franchiseur peut agir sur le terrain contractuel (résiliation aux torts du franchisé) et délictuel (concurrence déloyale, parasitisme, art. 1240 C. civ.).
Recommandations pour la rédaction ou la renégociation des clauses
Limiter la portée temporelle et géographique
- Durée : maintenir l’interdiction pendant le seul temps du contrat ou, si nécessaire post-contrat, ne pas dépasser un à deux ans.
- Territoire : circonscrire au secteur d’activité du franchisé (commune, département), plus large seulement si le réseau est national et la clientèle mobile.
Encadrer explicitement les actes préparatoires
- insérer une clause précisant que la constitution d’une société ou le dépôt d’une marque avant l’expiration ne constituent pas une violation, sous réserve de l’absence d’exploitation ;
- prévoir un report automatique de la prohibition si une obligation post-contractuelle de non-concurrence est prévue ailleurs (évite l’effet cumulé dénoncé par la Cour d’appel dans l’affaire commentée).
Assortir la clause d’une pénalité proportionnée
Une indemnité forfaitaire dissuasive mais raisonnable, contrôlée in concreto par les juges (art. 1231-5 C. civ.), facilite l’exécution volontaire et limite le risque de contentieux.
Points d’attention connexes : procédure collective, marques et RGPD
- L’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire du franchisé (art. L.622-7 et L.641-9 C. com.) n’efface pas la créance du franchiseur ; elle impose simplement une fixation au passif sans possibilité de condamnation au paiement.
- Le dépôt d’une marque identique ou similaire à celle du réseau pourrait constituer une contrefaçon (art. L.713-2 CPI) si l’usage est effectué dans la vie des affaires avant la fin du contrat.
- Le transfert de fichiers clients vers la nouvelle structure est soumis au RGPD : nécessité d’une base légale et d’une information transparente des personnes concernées (art. 5 et 13 Règlement UE 2016/679).
Conclusion : sécuriser la transition grâce à une clause équilibrée
L’arrêt du 19 mars 2025 rappelle aux professionnels de la franchise que la clause de non-concurrence en franchise doit protéger le réseau sans verrouiller indéfiniment la liberté d’entreprendre. Le franchisé peut anticiper son avenir, le franchiseur conserver son avantage concurrentiel, pourvu que chacun respecte la frontière entre préparation et exploitation effective.