Le Bouard Avocats
L’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 19 juin 2025 (n° 24-22.125, QPC) réaffirme un principe désormais bien établi en droit des baux commerciaux : l’action en constatation de l’existence d’un bail commercial né du maintien en possession du locataire à l’issue d’un bail dérogatoire est imprescriptible.
Cette décision, rendue dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, soulève des interrogations fondamentales. Comment concilier la protection du preneur, la sécurité juridique des parties et le droit de propriété du bailleur ? Pourquoi la Cour distingue-t-elle entre l’action en constatation et l’action en requalification ? Quelles précautions pratiques doivent prendre les acteurs économiques ?
Pour répondre à ces questions, il convient d’examiner les fondements légaux, l’évolution jurisprudentielle et les conséquences pratiques de cette imprescriptibilité.
L’article L. 145-5 du Code de commerce organise le régime des baux dérogatoires, également appelés « baux de courte durée ». Il autorise bailleur et preneur à convenir d’une location échappant au statut des baux commerciaux pour une durée maximale (aujourd’hui portée à trois ans).
Toutefois, le texte précise qu’à l’expiration du bail dérogatoire, si le preneur reste dans les lieux et est laissé en possession, il s’opère automatiquement un nouveau bail commercial soumis au statut. Cette transformation n’est pas la conséquence d’une volonté contractuelle, mais d’un effet légal automatique.
En pratique, cette règle vise à protéger l’exploitant commercial contre des baux précaires à répétition qui pourraient menacer la stabilité de son fonds.
La jurisprudence distingue nettement :
Cette distinction est capitale, car elle justifie la différence de régime en matière de prescription.
L’article L. 145-60 du Code de commerce dispose que toutes les actions exercées en vertu du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans. Cette règle est d’ordre public et s’applique notamment aux actions en fixation du loyer renouvelé, en nullité de congé, en requalification ou encore en contestation de certains actes.
La Cour de cassation a ainsi jugé, à plusieurs reprises, que l’action en requalification d’un bail dérogatoire irrégulier en bail commercial est soumise à ce délai strict (Cass. 3e civ., 22 janv. 2013, n° 11-22.984 ; Cass. 3e civ., 25 janv. 2023, n° 21-24.394).
Par contraste, l’action en constatation de l’existence d’un bail né du maintien en possession échappe à cette règle. Déjà en 2014 (Cass. 3e civ., 1er oct. 2014, n° 13-16.806), la Cour avait énoncé que cette action était imprescriptible, car elle ne créait pas un droit nouveau mais reconnaissait un effet automatique de la loi.
Cette solution a été confirmée par un arrêt du 25 mars 2023 (n° 21-23.007), puis consacrée par la décision du 19 juin 2025, qui tranche définitivement le débat en écartant toute contrariété constitutionnelle.
Le bailleur contestait l’imprescriptibilité en invoquant une atteinte à trois principes de valeur constitutionnelle :
Il soutenait qu’une action imprescriptible exposait le propriétaire à une incertitude illimitée, l’empêchait de maîtriser son bien et créait une rupture d’égalité avec le preneur.
La troisième chambre civile a refusé le renvoi au Conseil constitutionnel. Elle a estimé que la question n’était pas sérieuse, pour plusieurs raisons :
En conséquence, la Cour confirme que l’action en constatation reste imprescriptible sans violer la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Le locataire bénéficie d’une protection renforcée. Même des années après la fin d’un bail dérogatoire, il peut saisir le juge pour voir reconnaître ses droits si le bailleur ne s’était pas opposé à son maintien. Cette sécurité favorise la stabilité de l’exploitation et la valorisation du fonds de commerce.
Le propriétaire se trouve en revanche dans une situation délicate. Une simple tolérance, même prolongée, peut entraîner la naissance d’un bail commercial. S’il n’a pas manifesté son opposition à temps, il ne pourra plus invoquer la prescription pour contester l’action du locataire.
Il est impératif pour le bailleur de :
Cette jurisprudence clarifie les règles applicables aux baux dérogatoires. Elle rappelle que la passivité du bailleur équivaut à un choix lourd de conséquences : l’assujettissement au statut des baux commerciaux.
En pratique, les locataires se trouvent dans une position renforcée. Ils peuvent construire des projets à long terme sans craindre la perte de leurs droits du fait d’une inaction procédurale.
Pour les avocats en droit des affaires dans le 78, il convient de déterminer avec précision l’action à intenter. Si les conditions de l’article L. 145-5 sont remplies, l’action en constatation est à privilégier, car imprescriptible. À l’inverse, si l’on cherche à faire requalifier un contrat irrégulier, il faudra agir rapidement dans le délai biennal.
L’arrêt du 19 juin 2025 constitue une pierre angulaire du droit des baux commerciaux. Il consolide une jurisprudence protectrice des preneurs tout en rappelant aux bailleurs l’importance de la vigilance et de la formalisation.
L’imprescriptibilité de l’action en constatation du bail commercial ne prive pas le bailleur de son droit de propriété : elle sanctionne simplement son inertie. Le message de la Cour de cassation est clair : en matière de baux dérogatoires, le temps ne joue pas contre le preneur mais contre le bailleur inattentif.
Pour les praticiens du droit des affaires, cette solution impose une double exigence : conseiller les bailleurs sur la nécessité d’anticiper, et accompagner les locataires dans la reconnaissance de leurs droits lorsqu’ils sont demeurés dans les lieux.
L’action en constatation permet au locataire ou au bailleur de demander au juge de reconnaître qu’un bail commercial statutaire est né de plein droit du maintien en possession du preneur après l’expiration d’un bail dérogatoire. Elle ne crée pas un droit nouveau mais constate une situation juridique prévue par l’article L. 145-5 du Code de commerce.
La constatation s’appuie sur l’effet automatique de la loi : elle reconnaît l’existence d’un bail commercial né du maintien. La requalification, en revanche, suppose de faire dire au juge qu’un contrat présenté comme civil ou dérogatoire est en réalité un bail commercial. La première est imprescriptible, la seconde est enfermée dans la prescription biennale de l’article L. 145-60 du Code de commerce.
Parce que la constatation n’implique pas de créer un droit ou de modifier la qualification d’un contrat. Elle découle du seul effet de la loi. La Cour a estimé que l’imposer dans un délai de prescription reviendrait à limiter un droit né automatiquement, ce qui serait incohérent.
Non. La Cour rappelle que le bailleur conserve la possibilité de s’opposer au maintien en possession du locataire avant le terme du bail dérogatoire. S’il exerce cette faculté à temps, aucun bail commercial ne naît. L’imprescriptibilité n’affecte donc pas son droit de propriété, mais sanctionne son inertie.