Le Bouard Avocats
En cas de désaccord persistant à l’issue d’une vérification de comptabilité, le contribuable dispose d’une garantie essentielle : celle de pouvoir solliciter un échange contradictoire avec le supérieur hiérarchique du vérificateur, puis, si nécessaire, avec l’interlocuteur départemental. Cette faculté est explicitement prévue dans la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, document opposable à l’administration en vertu de l’article L. 10 du livre des procédures fiscales (LPF).
Cette étape hiérarchique préalable constitue, en principe, un passage obligé avant toute saisine de l’interlocuteur départemental. Le Conseil d’État l’avait clairement rappelé dans une décision de principe du 1er octobre 2018 (CE, 1er oct. 2018, n° 403186), en posant que l’absence de sollicitation du supérieur hiérarchique faisait obstacle à l’intervention régulière de l’interlocuteur départemental.
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Dans son arrêt du 18 février 2025 (n° 492413, société Valmer), le Conseil d’État est toutefois venu nuancer cette position en reconnaissant la validité de la procédure d’imposition, même lorsque l’administration accepte, à titre de tolérance, que le différend soit directement soumis à l’interlocuteur départemental sans passer par le supérieur hiérarchique.
Cette évolution jurisprudentielle, si elle n’institue pas un nouveau principe, témoigne d’un assouplissement pragmatique dans l'application de la charte du contribuable vérifié, dès lors que le dialogue contradictoire est préservé.
Dans l’affaire commentée, la société Valmer avait renoncé, par le biais de son conseil, à solliciter l’intervention du supérieur hiérarchique du vérificateur. Elle avait demandé que le désaccord soit directement porté à l’attention de l’interlocuteur départemental. L’administration ayant accédé à cette requête, la société contestait la régularité de la procédure, en invoquant une méconnaissance des garanties procédurales.
Le Conseil d’État rejette cet argument. Il juge que le contribuable ne saurait se prévaloir de la méconnaissance d’une garantie qu’il a expressément écartée. En d’autres termes, la saisine directe de l’interlocuteur départemental ne vicie pas la procédure d’imposition, dès lors qu’elle résulte d’une démarche volontaire du contribuable, acceptée par l’administration.
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Il convient de rappeler que, conformément à l’article 4 de la loi du 31 décembre 1971, les avocats peuvent représenter leurs clients devant l’administration fiscale sans produire de mandat écrit, dès lors qu’ils déclarent agir pour leur compte. Cette règle a été expressément rappelée par le Conseil d’État dans sa décision du 18 février 2025. Ainsi, le courrier adressé par l’avocat de la société Valmer a pu valablement manifester la volonté de celle-ci de recourir à l’interlocuteur départemental sans étape intermédiaire.
L’arrêt n° 492413 ne remet pas en cause le principe selon lequel la saisine de l’interlocuteur départemental suppose, en principe, l’intervention préalable du supérieur hiérarchique. Ce qui est confirmé, c’est que l’administration dispose d’une marge d’appréciation : elle peut, sans entacher la procédure d’irrégularité, admettre une demande directe si elle émane clairement du contribuable.
Ce tempérament ne crée pas un nouveau droit au profit du contribuable, mais invite à davantage de souplesse opérationnelle dans la gestion des contrôles fiscaux.
Dans la pratique, les entreprises ou leurs conseils doivent veiller à :
L’article L. 57 A du LPF impose à l’administration de répondre dans un délai de 60 jours aux observations d’un contribuable lorsque ce dernier relève d’un certain seuil de chiffre d’affaires. Ce délai a le caractère d’un délai franc. En l’espèce, le Conseil d’État a confirmé que la cour administrative d’appel de Douai n’avait pas méconnu cette règle.
Le Conseil d’État rappelle également, à la lumière des articles L. 48, L. 53 et L. 57 du LPF, que l’administration n’est pas tenue d’informer individuellement les associés d’une société de personnes des conséquences financières, à leur niveau, des rectifications envisagées sur la société. Cette interprétation se fonde sur la structure même de l’imposition des sociétés transparentes fiscalement.
Enfin, les autres moyens invoqués par la société Valmer concernant la remise en cause de la déductibilité des loyers facturés n’étaient pas suffisamment précisés pour que le juge puisse en apprécier la pertinence. Le Conseil d’État les écarte donc comme irrecevables ou non fondés.
L’arrêt du Conseil d’État du 18 février 2025 offre une clarification utile sur la portée de la saisine directe de l’interlocuteur départemental, en reconnaissant que cette pratique, bien que dérogeant à la stricte hiérarchie posée par la charte du contribuable vérifié, n’entache pas la régularité de la procédure d’imposition, à condition qu’elle soit volontaire et expressément acceptée.
Pour les praticiens du droit fiscal et les contribuables, cette décision invite à une approche à la fois stratégique et rigoureuse dans la gestion du dialogue contradictoire avec l’administration, tout en rappelant que la sécurité juridique demeure un objectif partagé entre les parties.